Education nationale, inconscience nationale
Un sondage qui a dû combler d’aise de Villiers, Le Pen, Chevènement et Cie : les jeunes de 18 à 30 ans seraient seulement 7% à se sentir européens, contre 77% à se sentir français (sondage Louis-Harris pour Libération, 29/06/05). Curieusement, d’ailleurs, le quotidien en question, dans son enquête sur le thème « Pourquoi les moins de 30 ans boudent l’Europe », ne s’arrête pas sur ces chiffres, se contentant d’enfoncer les portes ouvertes : le vote non majoritaire dans cette classe d’âge lors du récent referendum s’expliquant, pour les journalistes, par un déficit de démocratie des institutions européennes, la dénonciation de la bureaucratie bruxelloise ou le manque d’épaisseur sociale du traité constitutionnel.
Mais que plus de ¾ des jeunes affirment sans sourciller se sentir « surtout » ou « seulement » français ne semble intéresser personne, comme si la chose allait de soi, comme si c’était dans la nature humaine de s’identifier à une nation. Alors que cette identification est tout ce qu’on veut, sauf spontanée, puisqu’elle est d’abord le résultat d’une éducation qualifiée de « nationale », d’un système scolaire qui n’a jamais fait mystère de ses prétentions à manipuler de jeunes consciences.
C’est à partir de l’âge de 7-8 ans que l’on commence à se « sentir français », tout simplement parce que l’émergence d’une conscience nationale est l’un des objectifs des programmes scolaires obligatoires de l’école élémentaire. Nul, parmi les enfants de cet âge, comme, plus tard, parmi les adultes, n’est évidemment en mesure de donner un contenu à cette identité. Se « sentir français » ? Mais encore ? Si l’on choisissait de faire naître chez l’enfant une « conscience européenne » ou une « conscience mondiale », nul doute que, quelques années plus tard, 77% des jeunes se sentiraient alors européens ou citoyens du monde. Ce qui nous éviterait alors les crispations bêtement chauvines et xénophobes qui s’expriment aujourd’hui sans retenue.
Au cours de la campagne referendaire, on a beaucoup entendu Chevènement et ses amis socialistes-nationaux se moquer de l’inexistence d’une conscience européenne, feignant d’ignorer que le renforcement de l’histoire nationale dans le système éducatif – histoire à dominante guerrière, avec ses références constantes aux « grands hommes qui ont fait la France » – remontait à une vingtaine d’années en arrière, époque où Chevènement lui-même, en tant que ministre de l’Education nationale, avait remodelé les programmes scolaires dans le sens de ses fantasmes ; la Marseillaise à l’école, c’était déjà lui. Les 77% de jeunes à se sentir, selon la formule lepeniste, « français d’abord », ont tous en commun d’avoir été formatés dans les écoles de la république, pour ne jamais avoir à s’interroger sur ce concept d’identité nationale, pour le préserver de toute critique, pour ne jamais le remettre en cause.
Dans cette optique, on peut penser que ce ne sont pas des préoccupations altruistes, de justice sociale ou des sentiments de solidarité avec le monde qui ont guidé les jeunes, majoritairement, dans leur choix du 29 mai : comme leurs aînés, il se sentent donc français. C’est tout et c’est franchement débile.