La racaille version Royal
Puisque l’histoire a été rendue publique, on ne va pas se gêner pour en parler. Le week-end dernier, un des fils de Royal, âgé de 19 ans, a été interpellé, la nuit, par la police, avec des copains un peu éméchés. Bris de luminaire, dégradation de panneaux de signalisation. Pas de quoi fouetter un chat et il ne me serait pas venu à l’esprit d’encombrer mon Journal d’école avec ça si Madame mère n’avait cru bon d’y aller de son commentaire : « Ce sont des trucs de gamins – a-t-elle précisé – mais c’est pour lui une expérience de la vie ». Cette même Madame mère, qui, quelques jours plus tôt devant la presse, évoquait la nécessité d’envoyer les gamins en question se faire redresser dans un camp militaire « au premier acte de délinquance » et d’intervenir à la maternelle « au premier acte d’incivilité ». Pour Madame mère et les trois quarts de l’opinion publique, qui, paraît-il, l’approuvent, il y aurait donc « gamins » et « gamins » : ceux qui poursuivent des études longues, qui ont leurs parents à la maison, probablement la peau claire et qui n’ont pas un nom à coucher dehors. Ceux-là peuvent donc se permettre des « trucs ». Les camps militaires et les internats, ce n’est pas pour eux. Pour les autres, ceux qui ne poursuivent pas d’études longues, juste des stages ou des petits boulots par ci par là, qui n’ont pas forcément leurs parents à la maison, c’est une autre affaire ; d’autant qu’ils ont le plus souvent des noms à coucher dehors et la peau un peu sombre. Ce sont eux qui devraient peupler les camps militaires et les internats dont rêve Madame mère. Une approche raciale, une approche raciste, donc, de la question sociale.
Anecdote à rapprocher de l’analyse fournie par Philippe Meirieu dans un dernier article, « Le renouveau par l’école » (Libé, 08/06/2006) qui s’intéresse, justement, à la facilité avec laquelle la classe moyenne, majoritaire, accepte les politiques et discours stigmatisants à l’encontre de la jeunesse : cette jeunesse stigmatisée, ce n’est pas la sienne, du moins le pense-t-elle. La racaille, c’est toujours l’autre. Et Philippe Meirieu de poursuivre : « [La classe moyenne] ...préférerait que la démocratisation de l’école s’arrête là : « Pourquoi payer plus d’impôts pour intégrer des lascars qui risquent de venir déranger, voire racketter nos propres enfants ? » Et le pédagogue de s’interroger sur « le silence assourdissant » par lequel on a accueilli l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire. Ce qu’ont entendu et retenu les Français des déclarations de Royal c’est : « Confions donc les lascars à l’armée... Au moins, comme cela, ils ne seront pas dans les classes avec nos enfants ! Et tant qu’à faire, mettons-les donc dans l’entreprise avant, pour que nos collèges retrouvent leur calme ! »
Pour contrer ces fantasmes d’apartheid et d’exclusion qui dépassent très largement l’électorat traditionnel de l’extrême-droite, mais qui conduisent à voter comme elle, Philippe Meirieu en appelle à un « renouveau par l’école », un « vrai projet éducatif », qui peut se construire « en pariant sur l’éducabilité de tous les jeunes, en se proposant de faire acquérir à chacun le goût de la culture et non simplement les savoirs fonctionnels d’un hypothétique « socle commun », en s’attaquant sérieusement aux inégalités par une modulation de la dotation à tous les établissements en fonction des difficultés des familles qui y sont scolarisées et en misant sur une vraie politique de prévention, de la petite enfance à l’adolescence et au-delà. »
Contre la racaille, la pédagogie c’est quand même mieux que le kärcher ou les camps militaires.