Quand les écoles célèbrent la guerre
La Marseillaise pour commémorer le 11 novembre ? Faire chanter par de tout jeunes enfants « qu’un sang impur abreuve nos sillons » comme s’il n’y en avait pas eu suffisamment, de sang, à abreuver les sillons de Verdun ou d’ailleurs ? C’est pourtant ainsi que deux écoles élémentaires de L***, répondant aux injonctions de l’administration académique, ont choisi de rappeler la guerre à leurs élèves (Ouest-France, 12/11/05). Ces commémorations historiques posent problème. Quel objectif vise-t-on au juste, en mettant en scène de cette façon des enfants, encadrés par des anciens combattants qui sont ceux des guerres coloniales, au milieu des drapeaux et des fanfares militaires ? S’il s’agit de rendre hommage aux morts, peut-on le faire sans remettre en cause la folie des responsables politiques et militaires de l’époque qui a conduit à la mort 15 millions d’hommes au nom d’on ne sait trop quoi ? S’il s’agit d’éviter le retour de pareils errements, est-il acceptable qu’un pays comme la France gaspille chaque année une bonne partie de sa richesse en dépenses militaires aussi scandaleuses qu’inutiles, que dans le monde, l’an passé, on ait dilapidé plus de mille milliards de dollars à produire des armes ou que la France, toujours elle, soit le 3e exportateur mondial d’armements alimentant ainsi les conflits présents et futurs ? Pendant que chez nous les enfants chantent la Marseillaise devant des monuments aux morts, un peu partout dans le monde, d’autres enfants meurent à cause des armes que nous leur vendons. Voilà, me semble-t-il, des questions qui mériteraient d’êtres posées un 11 novembre. Un jour, malheureusement, où l’on célèbre la guerre plus qu’on ne commémore les morts.
Et puisque l’une des deux écoles présentes à cette cérémonie porte le nom de Victor Hugo, on se permettra de rappeler ce que le poète écrivait sur la guerre, dans un discours pour la mort de Voltaire (30 mai 1878) :
« (...) proclamons les vérités absolues. Déshonorons la guerre. Non, la gloire sanglante n’existe pas. Non, ce n’est pas bon et ce n’est pas utile de faire des cadavres. Non, il ne se peut pas que la vie travaille pour la mort. Non, ô mères qui m’entourez, il ne se peut pas que la guerre, cette voleuse, continue à vous prendre vos enfants. Non, il ne se peut pas que la femme enfante dans la douleur, que les hommes naissent, que les peuples labourent et sèment, que le paysan fertilise les champs et que l’ouvrier féconde les villes, que les penseurs méditent, que l’industrie fasse des merveilles, que le génie fasse des prodiges, que la vaste activité humaine multiplie en présence du ciel étoilé les efforts et les créations, pour aboutir à cette épouvantable exposition internationale qu’on appelle un champ de bataille ! ».
Pour l’édification morale et intellectuelle des enfants de l’école Victor Hugo, comme pour ceux de toutes les écoles, ces quelques lignes, c’est quand même autre chose que la Marseillaise.