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Journal d'école
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8 mars 2006

Et derrière le service civil...

L’idée a surgi, comme ça, dans la foulée des émeutes de novembre : alors que certains parlementaires hurlaient de rage et réclamaient les bataillons disciplinaires pour les émeutiers, d’autres s’affligeaient de la fin de la conscription et de la disparition du service militaire. Chirac, que l’on ne félicitera jamais assez  – et là, je parle sérieusement – pour avoir été à l’origine de cette abolition, proposait alors la création d’un « service civil volontaire ». Depuis, le débat s’est gonflé, notamment à l’instigation de l’hebdomadaire La Vie, qu’on a connu plus inspiré, lançant un appel  en faveur d’un service civique obligatoire – non mais, on ne va quand même pas laisser aux jeunes le choix de vivre leur vie comme ils l’entendent – appel derrière lequel s’est engouffrée toute une cohorte de nostalgiques de l’âge des casernes et des Chantiers de jeunesse. On n’est pas surpris : les socialistes forment le gros des troupes, Hollande appelant de ses vœux la création d’un service qui pourrait être « partiellement » militaire, sans doute pour apprendre à faire « partiellement » la guerre, à tuer « partiellement » son voisin ou à se faire tuer « partiellement ». Car n’en déplaise aux amnésiques qui voient dans le service militaire un lieu de brassage social, un gentil folklore et dans la caserne un lieu d’éducation, il faut quand même rappeler que la fonction du service militaire était d’abord et avant tout d’apprendre à faire la guerre, d’apprendre à tuer ou à se faire tuer ; cette institution est directement responsable de la mort de plusieurs millions de jeunes qui ne demandaient qu’à vivre. Voilà pourquoi on a applaudi à sa disparition.

Dans la rhétorique des partisans d’un service civil ou militaire, les fantasmes, la mauvaise foi ou les arrières-pensées l’emportent sur la raison. Evoquer le brassage social ou le mythe du creuset républicain est presque indécent alors que la ségrégation sociale mine la vie en commun, que des gens meurent dans les rues au premier coup de froid, que la précarité est le lot d’un nombre toujours plus important d’individus. Avec un service civil, surtout si on les met en uniformes, ces petits jeunes, ça se verrait moins, évidemment et ça permettrait à une société d’apartheid de continuer à se mettre en place plus discrètement. On ne sait pas trop, d’ailleurs, avec quoi on le meublerait, ce service : exiger de 700 000 jeunes d’une même classe d’âge un travail non rémunéré, ce serait peut-être un peu difficile à expliquer aux 3 millions de chômeurs : si le travail existe, on pourrait peut-être créer des emplois, non ? Faire travailler les gens sans les payer, le rêve d’une société esclavagiste...

Le plus curieux reste quand même cette idée selon laquelle un service obligatoire apprendrait à se connaître, à vivre ensemble. On fera juste observer qu’arrivés à 20 ans, les jeunes ont déjà passé 15 ans de leur vie en commun...dans les écoles. Malgré tout le mal qu’on en dit, c’est l’école qui est le lieu de cet apprentissage : les premières règles de vie en commun, l’acceptation, la prise en considération de l’autre, le respect d’autrui, la prise de conscience progressive de ce que sont le groupe, la collectivité, c’est à l’école qu’on les découvre et rien ne permet de dire que dans ce domaine, l’école ne joue pas son rôle. Bien sûr, on peut rêver d’une autre communauté que celle de l’école : celle des beuveries de chambrées, des bizutages de caserne, du machisme qui vous soude les hommes. Ce n’est assurément pas un hasard si la question du service obligatoire refait surface à un moment où l’école – mais surtout, au-delà de l’école, l’idée même d’éducation – se ramassent de plein fouet des attaques venimeuses dont l’origine ne fait plus guère de doutes : alors que Sarkozy suggère que les éducateurs soient formés par des policiers, que les aides-éducateurs sont remplacés par des policiers, alors que des rapports faussement scientifiques prétendent traquer les délinquants jusque dans les maternelles, que le député Benito jette le discrédit sur les parents bilingues incapables d’élever leurs enfants, on n’est pas surpris d’entendre en appeler à la caserne comme lieu d’éducation, de formation des citoyens, de préférence à l’école. Mais il faut alors dire clairement dans quel genre de société on veut vivre.

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