Et derrière le rappel à l'ordre...
On vient d’apprendre que Philippe Meirieu avait fait l’objet en janvier dernier d’un « rappel à l’ordre » de la part du recteur de l’académie de Lyon, téléguidé par de Robien, pour avoir publiquement exprimé son désaccord sur l’apprentissage à 14 ans. Que l’auteur de plusieurs centaines d’articles et d’ouvrages qui, depuis des décennies, s’exprime en toute liberté (autant qu’on sache...) soit aujourd’hui l’objet d’une menace de la part de l’administration, laisse songeur sur la dérive autoritaire d’une Education nationale et, à vrai dire, d’un état qui ne semble plus voir de salut que dans une fuite en avant dans l’arrogance et la brutalité. Philippe Meirieu répond aujourd’hui sur son site par un article digne et lucide, Crispations et dérapages : derrière la question de la lecture, les bonnes vieilles méthodes, la nostalgie éducative cache de moins en moins son véritable visage. Et ce visage est sinistre. Tout en renvoyant de façon pressante le lecteur à l’article en question, on se permet de reproduire la conclusion de Philippe Meirieu. Cela me dédommage un peu de ne pouvoir évoquer le rappel à l’ordre qui m’avait été infligé à moi-même en juillet dernier (voir Rappel à l’ordre sur « Journal d’école », 26 juillet 2006), à propos duquel je suis pour l’instant forcé de me taire. Pour l’instant...
Philippe MEIRIEU : « (...) au-delà de l'épineuse question de la lecture, nous assistons aujourd'hui, plus généralement, à une préoccupante montée d'un « discours de la décadence » qui nous prépare, si nous ne réagissons pas, de graves retours en arrière. Les « discours de la décadence » sont, en Europe, une tradition bien vivace et réapparaissent, à chaque crise. Même s'ils se présentent souvent comme dénonciateurs des injustices, il ne faut pas les confondre avec les « discours de la révolte ». Les « discours de la décadence » pointent des questions effectivement préoccupantes (comme l'exclusion par exemple), mais ils le font toujours dans une logique du bouc émissaire : il s'agit non pas d'analyser la complexité des situations, mais de chercher et punir les coupables. Ils ne s'interrogent pas sur la manière dont on pourrait aider les acteurs à inventer des solutions originales à des problèmes nouveaux, mais s'installent dans la nostalgie et en appellent à la restauration. Ils ne cherchent pas en quoi l'histoire a, petit à petit, cherché à se dégager des fatalités pour tenter d'émanciper les hommes, mais ils dénigrent systématiquement ces efforts pour exalter un passé mythique. Ignorer l'histoire pour se réfugier dans le passé, voilà leur principe. Et le faire en manipulant les attaques personnelles, l'injure, les simplifications, le slogan, voilà leur méthode. Ne soyons pas naïfs : ce discours de la décadence fait le lit du totalitarisme car il finit toujours par en appeler à l'homme providentiel. Ce discours renvoie à la mythologie et s'imagine qu'un demi-dieu va arriver un jour pour mettre fin magiquement au lent tâtonnement des hommes... Le « discours de la décadence », c'est Gringoire et Doriot... Ce sont, aujourd'hui, quelques politiques et intellectuels médiatiques. Méfions-nous en comme de la peste ! Ils sont les pires adversaires de la démocratie ! »