Violences scolaires et mémoire courte
Le bilan des actes de violence recensés par le ministère de l’EN au cours de l’année 2005-2006 ne montre guère d’évolution – surtout si l’on rappelle à quel point les chiffres fournis par le logiciel SIGNA, qui d’ailleurs, comme on le sait, a vécu, peuvent être sujets à caution – sinon des menaces plus marquées à l’encontre des personnels : menaces verbales ou insultes, bien plus, en vérité que les violences physiques dont, pourtant, les médias se régalent. Les profs du SNALC, eux, ont trouvé le responsable : dans un communiqué, ils dénoncent « depuis bientôt vingt ans, l’idéologie bohème (sic) qui consiste à mettre en lieu et place de la transmission des savoirs et des savoir-faire, l’élève au centre du système éducatif : depuis la loi d’orientation de 1989, les élèves ont de plus en plus de droits et de moins en moins de devoirs. » Autrement dit, pour le SNALC, lorsqu’un prof est agressé, c’est la faute à la méthode globale, aux TPE, aux IDD, bref, c’est la faute à Meirieu. Au SNALC et ailleurs, on a la mémoire courte : ce syndicat avait chaleureusement applaudi la création par les parlementaires, en août 2002, d’un inénarrable délit d’ « outrage à enseignant », délit passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende. Il s’agissait, affirmait-il alors d’un « retour au bon sens et à l’abandon d’une culture de l’excuse ». Six mois de prison et 7500 euros d’amende, est-ce vraiment la marque d’une « idéologie bohème » ou plutôt le signe, que, depuis pas mal d’années, on s’est complètement fourvoyé dans l’analyse de la violence scolaire ? Je sais très bien que cette loi est tellement ridicule qu’elle n’a jamais été appliquée, motivée uniquement par un effet d’annonce, comme c’est le cas de la plupart des lois sécuritaires votées depuis quatre ans et demi. Mais il faudrait se demander si cet effet d’annonce n’a pas eu à vrai dire d’effet contraire chez certains élèves : puisqu’on nous traite en délinquants, comportons-nous donc en délinquants ! Pour le SNALC, les élèves auraient aujourd’hui «de plus en plus de droits et de moins en moins de devoirs ». Eternelle lamentation, pleurs et gémissements entendus au Café du commerce ou le soir au JT, devant cette jeunesse sans repères et déboussolée. Pourrait-on nous dire de quels « droits » jouissent les élèves aujourd’hui dans un établissement scolaire, alors qu’il est patent que que les règlements scolaires se sont renforcés, durcis, démesurément allongés, que les punitions sont distribuées à tour de bras et sans discernement et, qu’à la vérité, bien des profs ne trouvent rien à redire à ce principe sarkozien qui fait de la « sanction la première marche de la prévention » (cf le projet de loi en discussion sur la « prévention de la délinquance ») ?
La Convention internationale sur les droits de l’enfant – déjà si peu appliquée en France – remonte à 1989. Aussi mal appliquée, d’ailleurs que la loi d’orientation de la même année. Cette convention n’a jamais reçu le moindre prolongement dans les établissements scolaires où la notion de « droit de l’élève » est parfaitement incongrue. Je ne sais – tant les enquêtes sur le sujet sont aléatoires – si la violence s’est développée ces dernières années dans établissements. Il est plutôt probable que l’ambiance, ce qu’on appelle le « climat d’établissement » s’est dégradé. Il faut s’aveugler pour ne pas se rendre compte que cette dégradation résulte principalement d’une rigidité accrue de la part des adultes et de l’encadrement pour qui discuter, échanger et même simplement écouter un élève est considéré comme un signe de faiblesse. Aveuglé par des principes à courte vue de maintien de l’ordre, le système scolaire ne prépare en rien les élèves à devenir des citoyens responsables. Il y a fort à parier que les effets négatifs de la note de vie scolaire en collège vont se faire sentir dès le second trimestre, parce qu’ux yeux des élèves, elle est trop souvent la marque de l’injustice et de l’arbitraire.
Dans ce domaine, il n’y a rien de bon à attendre des prochains mois. Alors que l’échec d’une politique exclusivement répressive est évident, on apprend que les sénateurs s’apprêtent à criminaliser un peu plus l’enregistrement et la diffusion d’images prises à la volée sur des portables. Nos bons parlementaires ne visent certes pas les télés et médias qui se sont lâchés sans pudeur en diffusant l’exécution de Saddam Hussein, mais plus simplement les collégiens et les lycéens. Une amende qui se chiffrera à combien ? Quelle peine de prison ? On peut leur faire confiance, aux politiques, pour caresser leur électorat dans le sens du poil. Dans un an, lorsque le ministère dressera le bilan des violences scolaires pour l’année 2006-2007 et que l’on constatera que rien ne s’est amélioré, il se trouvera sans doute encore des enseignants pour incriminer «l’idéologie bohème qui place l’enfant au centre ».