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Journal d'école
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5 juin 2007

La "culture humaniste" à l'école, ça sert aussi à faire la guerre

L’enseignement de « l’esprit de défense » dans les établissements scolaires, mis en place à partir de 1982 (voir sur ce sujet « L’esprit de défense contre les droits de l’homme », Journal décole, 31/07/2006), est renforcé par un protocole d’accord entre les ministères de l’Education et de la défense du 31/01/2007 (BOEN n° 7, 15/02/2007). Avec pour objectif affiché de « répondre aux besoins de recrutement de l’armée », ce protocole renforce dangereusement la présence de l’armée dans les écoles et sur les programmes scolaires.

Pour arriver à leur fin, les deux ministères n’hésitent pas à manipuler le socle commun de connaissances et de compétences applicable à la rentrée prochaine. Avec une grande malhonnêteté, ils affirment en effet que « la définition du socle commun de connaissances et de compétences fait de la défense l’une des connaissances que tout élève doit avoir acquises à la fin de la scolarité obligatoire, au titre de la culture humaniste » ( !), ajoutant encore : « inscrit désormais dans le socle commun de connaissances..., l’enseignement de la défense fait l’objet...d’une prise en charge collective par les enseignants ». C’est faux : cette affirmation résulte d’une falsification cynique du socle, tel qu’il est paru au JO du 12 juillet 2006. « La culture humaniste – y lit-on – permet aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité. En sachant d’où viennent la France et l’Europe et en sachant les situer dans le monde d’aujourd’hui, les élèves se projetteront plus lucidement dans l’avenir. [La culture humaniste] enrichit la perception du réel, ouvre l’esprit à la diversité des situations humaines, invite à la réflexion sur ses propres opinions et sentiments et suscite des émotions esthétiques... » Non seulement le socle commun ignore l’esprit de défense mais il insiste au contraire sur un certain nombre de capacités « citoyennes » à faire acquérir par les élèves, en opposition avec le matraquage idéologique de l’esprit de défense : « les élèves devront être capables de jugement et d’esprit  critique, ce qui suppose : savoir évaluer la part de subjectivité ou de partialité d’un discours (...) ; savoir distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité (...) ; apprendre à identifier, classer, hiérarchiser , soumettre à critique l’information et la mettre à distance (...) ; savoir construire son opinion personnelle (...)".

Les dispositions adoptées par le nouveau protocole armée-école sont en totale contradiction avec la philosophie du socle commun et d’ailleurs, plus généralement, avec les préoccupations basiques de n’importe quel enseignant ou éducateur. Ce texte prévoit en effet : d’ « approfondir l’enseignement de défense », par exemple en inscrivant ce sujet dans les TPE, d’ouvrir largement les portes des casernes et installations militaires aux visites scolaires, de « développer les échanges entre les élèves, les enseignants et les militaires (...) », en particulier par l’intermédiaire des conseils de vie lycéenne (CVL). En collège, l’option découverte professionnelle doit permettre aux élèves de troisième de découvrir les carrières militaires. On affirme sans même s’en cacher que ce protocole a pour objet de « renforcer le potentiel d’accueil au sein de la défense  de jeunes souhaitant découvrir la vie professionnelle ou s’y préparer ». Rappelons encore que le programme d’éducation civique de la classe de troisième comporte un volet militaire obligatoire qui peut donner lieu à une épreuve écrite au DNB. La sensibilisation et la formation des enseignants se trouvent confiées aux seuls militaires : il s’agit de « développer la formation à l’enseignement de défense des enseignants et des cadres de l’éducation nationale. Dans cette perspective, la formation initiale des enseignants est une priorité : une formation à l’enseignement de défense est organisée au profit (sic) des professeurs stagiaires d’histoire-géographie des lycées et collèges des IUFM et est proposée aux autres professeurs du premier et du second degré ». Un certain nombre d’académies ont d’ailleurs anticipé avec empressement les souhaits des militaires. Ainsi, l’académie de Nantes : son dispositif de formation pour l’année 2007-2008 prévoit pour les enseignants une journée « pour mieux connaître les enjeux de la défense », journée organisée par trois colonels et un inspecteur des douanes ; les professeurs « intéressés par les questions d’information et d’orientation des élèves sont vivement conviés à visiter les locaux de l’Ecole d’application du génie d’Angers, tandis que leurs collègues de STI et de physique-chimie se voient proposer la découverte, dans la même ville, des locaux de la DGA (Délégation Générale à l’Armement, dont la mission, hautement humaniste donc, consiste à vendre des armes partout dans le monde).

Attirer l’attention des élèves sur la guerre et la paix fait certes partie des missions de l’école. Mais la traduction qu’en font les autorités, à travers l’enseignement de « l’esprit de défense », relève de la manipulation. Afin de satisfaire aux besoins de recrutement de l’armée, on délègue aux seuls militaires la sensibilisation des élèves sur ce sujet. Avec cette incroyable conséquence : pas une seule fois, au cours de leur éducation citoyenne, les élèves ne doivent prendre conscience que la fonction de l’armée consiste à faire la guerre et que ceux d’entre eux qui se seront laissés séduire par les sergents recruteurs risquent fort de se trouver un jour confrontés à l’alternative d’avoir à tuer ou de se laisser tuer sur ordre. Curieusement, dans les programmes scolaires comme dans ces longs protocoles armée-école, le mot « guerre » n’est jamais employé, supplanté par celui de « défense » et plus hypocritement encore par le concept de « défense globale », laissant croire que l’activité d’un médecin sans frontière ou d’un pompier serait de même nature que celle d’un pilote de Rafale. L’école aurait donc pour mission de développer les capacités de jugement, d’esprit critique, de construction d’une opinion personnelle mais dans le même temps on exclut du jugement, de l’esprit critique et de l’opinion personnelle tout ce qui touche à la guerre et à la paix. Ainsi, arriveront à l’âge adulte de jeunes citoyens à qui l’on aura interdit toute interrogation sur des questions comme les extravagantes dépenses militaires, les exportations d’armement, la bombe atomique, la légitimité de la guerre comme mode de résolution des conflits ou la non-violence comme alternative aux conflits. Ces questions, justes et fondées, s’arrêtent à la porte de l’école.  Avec l’esprit de défense, l’Education nationale montre une nouvelle fois son double visage : « humaniste » pour la façade, encourageant les valeurs de tolérance et de respect d’autrui, valeurs sur lesquelles, d’un autre côté, elle s’essuie les pieds avec des programmes officiels, des pratiques, qui les contredisent. Avec l’esprit de défense, l’éducation civique se noie dans le bourrage de crâne.

http://journaldecole.canalblog.com/archives/2006/07/31/index.html

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Commentaires
T
Pour alerter l'opinion publique sur l'urgence de la malnutrition dans le monde, ACF fait appel à vous en organisant une véritable mobilisation dans 19 villes de France et à Paris.<br /> <br /> L'objectif est de symboliser l'immobilisme face à ce Fléau en participant à une grande performance inspirée des célèbres freeze Mobs <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=jwMj3PJDxuo
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T
Condamner l'humanisme parcequ'il est détourné par les militaires ?<br /> <br /> faites fort, une fois de plus. Enseigner l'humanisme c'est justement ce à quoi renonce le mouvement pédago, parce que les "humanités" seraient réactionnaires, occidentalocentrées etc etc...<br /> <br /> à force de creuser des trous et de saper les valeurs qui font la communauté des citoyens, ne vous étonnez pas que des malveillants (armée, sectes, coachs, formateurs de formateurs, producteurs de contenus merdiques et autres charlatans) s'engouffrent dans les brèches : la nature a horreur du vide !
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T
"les élèves devront être capables de jugement et d’esprit critique, ce qui suppose : savoir évaluer la part de subjectivité ou de partialité d’un discours (...) ; savoir distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité (...) ; apprendre à identifier, classer, hiérarchiser , soumettre à critique l’information et la mettre à distance (...) ; savoir construire son opinion personnelle (...)". <br /> <br /> heureux de le savoir... j'espère que l'enseignement de l'esprit critique s'applique également envers les arguments d'autorité/culpabilisateurs des pontes pédagogistes, des profs LCR, du SNES, des documentalistes antitout, des principaux démissionnaires, des camarades staracadémisés...
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