Elles sont du côté des maîtres
Le 7 février 2004, Fadela Amara, présidente de NPNS recevait le prix du Livre politique de l’année des mains de Jean-Louis Debré. Jean-Louis Debré, le même qui, quelques années plus tôt, envoyait brutalement sa police contre les sans-papiers de l’église Saint-Bernard. Un peu plus tard, Amara faisait l’objet d’un hommage appuyé de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, pour bons et loyaux services. Savoir à qui Amara a rendu service depuis la fondation de son mouvement est une question parfaitement légitime, et pas spécialement nouvelle, surtout depuis sa promotion au gouvernement, promotion qui ressemble furieusement à une récompense. Pour bons et loyaux services, justement.
Si la défense des femmes est assurément une juste cause, elle l’est beaucoup moins lorsqu’elle se limite à un petit nombre de femmes, soigneusement délimité, la femme voilée. Pour Amara, non seulement toute femme voilée est nécessairement une femme « soumise » mais il n’est de femme soumise que voilée. Le silence assourdisant d’Amara sur les violences sexistes dans toutes les couches de la société fait quand même problème, surtout en regard de l’invraisemblable battage médiatique sur la femme musulmane, nécessairement voilée, nécessairement soumise, nécessairement battue et ses corollaires l’homme musulman, nécessairement violent et dominateur. Comme sont violents et dominateurs l’Islam dans son principe et bien sûr les Arabes. De ce point de vue, on peut dire que NPNS, ou du moins, leurs dirigeants, auront largement contribué au developpement d’un fort sentiment de méfiance à l’égard des Arabes dans un pays qui n’y était déjà que trop porté. Un sentiment raciste qui a joué un rôle certain dans l’élection de Sarkozy et la nomination d’un ministre de l’immigration et de l’identité nationale...dont Amara est maintenant la collègue. Comme elle est d’ailleurs la collègue, la sous-ministre de Christine Boutin, contemptrice acharnée du droit des femmes, à travers, par exemple, son combat permanent contre l’avortement. Pour Amara, comme une femme voilée ne peut être que « soumise », une femme libre de son corps, ne peut être qu’une « pute » sans doute. Son engagement, elle ne voit aucun inconvénient à le poursuivre aux côtés de Boutin et de Hortefeux mais il est clair que cet engagement n’a rien à voir avec la défense des femmes ou des opprimés : depuis sa fondation, NPNS, à qui la droite n’a, au passage, jamais ménagé ses encouragements, apparaît bien plutôt comme un « appareil idéologique au service de l’Etat » (Houria Bouteldja) [1].
On aurait pu comprendre, à la limite, qu’Amara ou Dati acceptent des responsabilités gouvernementales s’il s’était agi de peser sur une politique, d’infléchir des choix mais on se rend compte qu’il n’en est rien. Aujourd’hui, alors que les urnes sont refermées, le programme sarkozien de brutalisation de la société se met en place sans coup férir : dans les prochains jours, les prochaines semaines, des lois vont être votées par un parlement à la botte. Taxation des plus pauvres pour financer les cadeaux des plus riches, atteintes aux droits sociaux, accentuation de la ségrégation scolaire, abaissement de la majorité pénale (signé Dati), institutions de peines planchers (encore Dati), mesures visant toutes les plus petits, les plus jeunes, les plus modestes. On attend toujours les réactions de ces deux ministres devant les camps de rétention où croupissent des milliers d’étrangers dans des situations ignobles, sur les larmes et l’effroi des enfants sans-papiers, sur ces prisons inhumaines qu’on va remplir encore davantage, sur l’humiliation permanente de toute une classe d’âge soumise aux brutalités flicardes dans les cités. On attend toujours et l’on risque d’attendre encore longtemps. Amara et Dati ont changé de camp ; entre opprimés et oppresseurs, elles ont choisi. Entre le camp du maître et celui du serviteur, elles ont choisi le maître, entre le blanc et l’Arabe, elles ont choisi le blanc. Elles n’ont plus rien à voir avec la « racaille ». Oubliant sans doute que si elles avaient eu à grandir sous Sarkozy, elles n’auraient sans doute eu aucun avenir.
[1] http://lmsi.net/spip.php?article320
Je suis bien conscient de l’impact, de l’effet désagréable, voire d’un certain malaise que mon post du 19/06 a pu provoquer sur certains de mes lecteurs dont je me sens par ailleurs proche. Même s’il est vrai qu’il fut écrit sous le coût de la colère, de l’amertume, plutôt, je n’en retire rien. La colère et l’amertume sont des sentiments humains et je ne vois pas pourquoi il faudrait les taire. Il serait mal venu, comme un commentaire le laissait entendre, de mettre ce message en regard des sites internets référencés dans mes liens : si j’oriente mes visiteurs vers Philippe Meirieu, Evelyne Charmeux, Lofi, Philippe Watrelot et quelques autres, cela n’implique en rien une communauté de pensée, une identité de vue sur le monde. Même si je suis heureux qu’ils me référencent à leur tour ou qu’ils fassent allusion à « Journal d’école », je ne leur en fais nullement une obligation. Ils peuvent même cesser de le faire s’ils estiment que je deviens vraiment infréquentable ; je ne leur en voudrai pas. Il est vrai que, de par sa nature, « Journal d’école » peut poser problème ; ce n’est pas uniquement un blog sur l’école, même si, en filigrane, la question éducative reste la première préoccupation, ou, plus exactement, les relations entre générations. Faut-il envisager une évolution ? Pour l’instant, je n’ai pas trop envie d’y réfléchir.