Le président de la Sorbonne ouvre la saison littéraire chez Carrefour
Comment arrondir ses fins de mois quand on est prof ? Facile : on attend la rentrée et on publie un pamphlet sur l’école. Ca ne demande pas beaucoup d’efforts, ni de talent pour écrire, aucune argumentation, et ça se vend très bien chez Leclerc ou chez Carrefour. Les clés du succès résident essentiellement dans le respect de deux conventions incontournables : ne pas dépasser 200 pages en gros caractères et surtout trouver le titre le plus énorme qui soit. A partir de là, même le plus parfait crétin se voit ouvrir les portes des rédactions et des plateaux de télé. Ainsi, Pitte (il paraît qu’il est président de la Sorbonne ; reviens Cohn-Bendit...) a pu trouver un éditeur, Oh ! Editions (non ce n’est pas La Pléiade), pour un tonitruant « Stop à l’arnaque du bac »(1). Dans Ouest France (02/09/2007), il assène ses certitudes : « aujourd’hui, il suffit d’être candidat pour être quasiment assuré d’être bachelier ». Tant pis pour les 17% qui ont échoué cette année ; on n’allait quand même pas s’attendre à trouver des arguments dans ce genre de gribouillage. « Le niveau de l’examen baisse d’année en année (...). Oui, c’est un désastre ! ». Il a bien raison, Pitte : depuis des décennies que l’on pleure sur le bac, il est évident que les bacheliers d’aujourd’hui n’en savent pas plus que les écoliers de la IIIe République. Des sanglots dans la voix, Pitte se désespère devant l’état de décrépitude de cet examen, « ce symbole qui est un lieu de mémoire, un monument national », un peu comme la croix de Lorraine à Colombey ou Johnny Halliday. Le responsable, bien sûr, c’est « cet effondrement du niveau des connaissances, une décadence linguistique dramatique, de plus en plus de bacheliers presque illettrés ». Tiens, il oublie de mentionner la méthode globale, Pitte. Dans le Figaro (30/08/2007) où il dénonce le « laxisme généralisé », il présente ses solutions pour mettre fin à ce cataclysme national. Solutions lumineuses comme on le voit : « Il faut retrouver un souci d’exigence dès la maternelle. La dictée quotidienne, la rédaction hebdomadaire, l’obligation de lire et d’apprendre par cœur certains grands textes à l’école primaire (...) ». Il oublie la blouse grise et les coups de règle sur les doigts ; quel laxiste, ce Pitte !
Dans le flot de publications vengeresses ou larmoyantes sur l’école qui garniront les têtes de gondoles dans les prochaines semaines, on est heureux d’annoncer en avant-première sur Journal d’école plusieurs titres retentissants, à ne manquer sous aucun prétexte : « Ils ont cassé l’école », « Qu’elle était belle, l’école du tableau noir ! », « La belle époque du certif » (23e édition), « Quand la France apprenait à lire aux nègres (avec la méthode syllabique) ». On croit savoir que Brighelli achève un nouveau volume de son opus monumental : « Reviens, Charles Martel, les sauvages sont dans nos murs ! ». Liste non exhaustive. Signalons quand même à tous ceux qui n’auraient pas envie d’acquérir ces précieux ouvrages, qu’ils peuvent toujours relire ceux qu’ils avaient achetés sur le même sujet l’année dernière à pareille époque, ou il y a deux ans, ou il y a dix ans, ou il y a vingt ans, ou trente ans etc. C’est le même texte écrit sous des pseudos différents.
(1) Dans le catalogue de l’éditeur en question, spécialisé dans la publication de « témoignages », Pitte est en bonne compagnie : on y trouve en effet les réflexions philosophiques de Jean-Marie Bigard, « Rire pour ne pas mourir », de Justine, « Ce matin, j’ai décidé d’arrêter de manger », d’Hélène, « J’ai commencé par un joint » et quantité d’autres œuvres qui feront date dans l’histoire de la littérature et des sciences humaines. Pitte, qui avait commencé sa carrière aux PUF et chez Tallandier il ya déjà quelques décennies, a manifestement du mal à assurer sa reconversion. Mais enfin, me direz-vous, ne chipotons pas ; l’important est de gagner sa croûte.