Obéir, oui mais encore ?
Celui qui n’aurait ni le temps ni l’envie de se lancer dans les 185 pages de l’enquête « Les jeunesses face à leur avenir », menée par la Fondation pour l’innovation politique (et téléchargeable sur son site), sera bien avisé d’en lire la préface due à la plume de François de Singly. De jeunes Français qui apparaissent nettement plus pessimistes que les autres quant à leur avenir, Japonais exceptés, en particulier parce qu’ils doutent fortement de leur liberté et du contrôle qu’ils peuvent avoir sur leur propre avenir. Très inquiétant, également, le rapport des jeunes Français à l’autorité, considérée comme supérieure à l’indépendance. Pour François de Singly, « la France est même le seul pays où le rapport entre l’indépendance et l’obéissance est négatif. Les jeunes Français sont plus nombreux à estimer que l’obéissance est très importante, comparativement à l’indépendance ». Enquête qui met à mal, donc, les clichés sur les jeunes sans repères, perpétuellement révoltés et qu’il convient d’abord de dompter. « Ce résultat observé en France – poursuit François de Singly – peut surprendre car ce pays a connu en 1968 une révolte nettement antiautoritaire des jeunes. Malgré ce moment important, l’inversion de valeur ne s’est pas produite de manière durable. Contrairement à une représentation répandue par des politiques, des intellectuels, des médias, les excès de l’individualisme antiautoritaire ne caractérisent pas la France (...). L’enfant, le jeune, n’est pas roi, même de sa vie. Il n’exerce le pouvoir que sur ses vêtements, sa musique mais son avenir scolaire ne lui appartient pas (...). [Les jeunes] n’ont le droit à la libre expression d’eux-mêmes que dans des territoires limités et pour les temps dits libres ».
Si cette spécificité est à mettre en rapport avec les difficultés, plus fortes qu’ailleurs, rencontrées par les jeunes Français pour rentrer dans la vie active, elle interpelle également l’école et ses acteurs, dont, au passage, les jeunes ont une image plutôt négative. Car après tout, si le souci d’obéissance doit l’emporter sur l’indépendance, avec toutes les dérives que cela peut engendrer, c’est peut-être aussi parce que le système scolaire, en France, privilégie bien davantage l’obéissance, le respect de la règle que l’esprit de responsabilité, d’autonomie et d’initiative. A tous les moments de sa scolarité – que ce soit lors des procédures d’orientation, dans le déroulement d’une heure de cours ou dans ses rapports avec l’enseignant – l’élève se voit imposer des attitudes, qui deviennent très vite des réflexes, de soumission, de déférence d’où le regard critique, l’expression personnelle sont absents. La distance, toute empreinte de méfiance et de crainte qui sépare en France enseignants et élèves a toujours été relevée par ceux des jeunes qui, à un moment ou à un autre, ont connu une scolarité à l’étranger ou bien par des étrangers que le hasard d’un échange scolaire fait fréquenter pendant quelque temps un établissement français. Ils n’en conservent généralement pas un bon souvenir. Comme François de Singly le fait judicieusement observer, si Mai 68 a été l’occasion d’une certaine libération sexuelle, « cela n’a pas suffi à modifier aussi fortement qu’ailleurs l’éducation , familiale et scolaire, de la jeunesse, à créer les conditions pour que les jeunes puissent devenir maîtres de leur existence. » Et ce n’est pas le renforcement de la discipline scolaire, que l’on voit à l’œuvre un peu partout depuis quelques années – cf l’allongement sans fin des règlements scolaires et des interdits – qui peut laisser augurer une évolution positive.
Outre qu’il n’y a rien de bon à attendre d’un pays qui considère l’obéissance comme une valeur suprême, ce pessimisme des jeunes pourrait bien déboucher à moyen terme sur des conséquences plus terre-à-terre : d’après cette enquête de la Fondapol , seuls 11% des jeunes Français affirment être prêts « à payer les impôts nécessaires pour verser les retraites des générations plus âgées ». «Est-ce une manière pour eux – s’interroge François de Singly – de prendre leur revanche sur ces générations qui les précèdent ? ». Question que l’on ferait bien, effectivement, de se poser dans les écoles, alors que toute une génération d’enseignants devrait prendre sa retraite dans les années qui viennent.
Bon, mine de rien, ce message est quand même le 500e posté sur Journal d'école depuis sa création en avril 2005. Encore un prof qui a du temps à perdre.