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Journal d'école
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25 mai 2008

Histoire en collège : tout un programme...

116 pages, pas moins, pour faire tenir le projet de programmes d’histoire-géo éducation civique en collège applicables à la rentrée 2009. Si chaque matière est aussi prolixe, il faudra un bon millier de pages pour l’ensemble des programmes de collège. Il faut croire que l’exigence du ministre de l’Education nationale pour la concision et la forme ramassée ne vaut que pour le primaire. Et même s’il ne s’agit-là que d’un projet « soumis à concertation » selon la formule officielle, l’expérience récente des programmes de primaire et les pratiques constantes de l’administration montrent qu’à l’Education nationale, la décision précède toujours la concertation.

Pour se limiter à l’histoire, à côté de quelques rares innovations (en 5e, Une civilisation subsaharienne ou en classe de 3e Un siècle d’immigration), les programmes reflètent surtout une vision traditionnelle et dépassée de l’histoire, un découpage annuel et thématique incohérent et au final des exigences d’une extrême indigence. Les auteurs privilégient le récit, les dates et les grands personnages. Sous prétexte de donner des repères, ils confondent une fois de plus dates et chronologie. On a ici une accumulation de dates, de faits, sans aucun lien cohérent et très discutable : est-il vraiment judicieux par exemple que les deux dates privilégiées pour l’Empire romain soient le principat d’Auguste et l’édit de Caracalla ? L’histoire-bataille est largement privilégiée – à croire que les hommes du passé ne faisaient rien d’autre que se battre – et les grands hommes principalement les princes ou les chefs de guerre : il faudra quand même qu’on nous explique un jour comment l’histoire (ou la légende, plutôt) de Vercingétorix ou de Jeanne d’Arc permettent à nos élèves de se situer dans le monde d’aujourd’hui.

Le cloisonnement des périodes, la répartition des thèmes sur les quatre années de collège ne brillent pas non plus par leur logique. On s’étonne par exemple, de la disparition de la civilisation égyptienne en 6e, réduite à un rapide aperçu sur « un site ou un monument ». Suppression d’autant plus regrettable que, de l’avis général, l’Egypte antique faisait l’objet d’une faveur jamais démentie de la part des élèves : les paysans du Nil, leurs croyances religieuses, les pharaons et leurs tombeaux rentraient dans une sorte d’histoire globale, offrant la possibilité d’activités variées dont les élèves tiraient le plus grand profit. Mais l’intérêt des élèves ne semble pas être la préoccupation première des auteurs. Ainsi, alors que le programme de 5e centré sur le Moyen Age et la Renaissance est déjà lourd à mettre en œuvre, on lui rajoute le règne de Louis XIV et « l’émergence d’un roi absolu » : que garderont les élèves, déjà saturés, de ce thème nécessairement abordé dans la seconde quinzaine de juin ? Dans un même ordre d’idées, on n’hésite pas à placer à l’extrême fin de la 4e le sujet « 1914 : veillée d’armes en Europe », alors que la Première guerre mondiale sera étudiée en 3e...après les grandes vacances. La découverte de la religion musulmane est, elle, avancée en classe de 6e mais la civilisation musulmane classique étudiée en 5e. Aux élèves de faire le lien. Si, comme d’habitude, on ne sait pas qui sont les auteurs des programmes, on dispose au moins d’un indice pour les identifier : ils n’ont jamais mis les pieds dans un collège depuis bien longtemps.

Mais la nouveauté de ces programmes réside dans la place accordée au récit, nouveauté étant une façon de parler pour désigner ce qui constitue une inquiétante régression, à vrai dire bien dans l’air du temps : « il convient (...) d’accorder une place au récit par le professeur : sa parole est indispensable pour capter l’attention des élèves grâce à un récit incarné (sic[1]) pour dégager l’essentiel de ce qu’ils doivent retenir ». Outre qu’il est douteux qu’il suffise au prof de parler encore et toujours pour « capter l’attention des élèves », c’est à une conception très réductrice et surranée de l’activité des élèves que se voit ramené l’enseignement de l’histoire. Comme en primaire avec les programmes Darcos, il s’agit de réciter, recopier, répéter. Les capacités attendues des collégiens se limitent à « décrire » et « raconter » : par exemple en 6e, on demande de « décrire un épisode des Jeux Olympiques (...) raconter un épisode des guerres médiques ». En 5e, l’élève racontera « un épisode des croisades »  (laxiste, le ministère ne précise pas si le narrateur devra se placer du côté des preux chevaliers ou des farouches infidèles), avant de se lancer dans le récit « d’une journée de Louis XIV ». En 4e, à propos de la traite négrière, on ne demande pas aux élèves de s’interroger sur l’esclavage ou le racisme mais simplement de « raconter la capture, le trajet et le travail forcé d’un groupe d’esclaves ». L’obscénité n’est pas loin. Et le ridicule non plus puisque pour les responsables des programmes, les élèves de 3e (âgés de 14-15 ans, donc) devront être capables de raconter « l’évolution des modalités des productions industrielles » ou encore « l’évolution de la structure d’une entreprise, de la dimension familiale à la firme multinationale » mais aussi « l’évolution d’un aspect de la médecine, en montrant l’impact sur la vie humaine ». Pas moins. L’enseignement de l’histoire en 3e étant sanctionné par une épreuve écrite au DNB, on ne voit pas comment l’activité des élèves pourrait se réduire à autre chose qu’à réciter un résumé écrit au tableau par l’enseignant. Où est, dans ces conditions, la liberté pédagogique garantie par la loi d’orientation aux enseignants, essentiellement préoccupés, par la force des choses, de boucler le programme et d’assurer ainsi le résultat de leurs élèves aux examens ?

A l’instar des programmes Darcos en primaire, les programmes d’histoire en collège réussissent l’exploit d’être à la fois lourds et indigestes, à vrai dire inapplicables mais dans le même temps simplistes et rudimentaires, d’une extrême pauvreté ; les élèves très majoritairement n'en tireront pas grand profit. Paradoxe : alors que le renouvellement des programmes est justifié par la mise en conformité des enseignements avec le socle commun de connaissances et de compétences adopté avec la loi d’orientation, les responsables des programmes sont en complète opposition avec les préconisations du socle dont la spécificité réside justement « dans la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du point de vue de l’élève » (Décret du 11 juillet 2006). Le socle évoque également la nécessité de « l’ouverture à la communication, au débat », nécessité également de « s’informer, se documenter, créer, produire, traiter, exploiter des données » ; il s’agit de développer chez l’élève « l’autonomie, complément indispensable des droits de l’homme (...), la capacité de juger par soi-même (...), la formation du jugement (...), l’ouverture d’esprit à la diversité des situations humaines ». C’est une vieille habitude à l’Education nationale, une marque de fabrique, pourrait-on dire : celle qui consiste à confier aux programmes officiels la mission de gommer ce que les grands principes, solennellement affirmés, pourraient avoir de trop audacieux.


[1] Avec les nouveaux programmes d’histoire, le Verbe se fait Chair et voilà les enseignants promus en nouveaux prophètes.

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Commentaires
T
oui, bien sûr ! à condition que l'interrogation ne soit pas le masque de l'ignorance cyniquement et finalement préférée !
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J
Merci Lubin ! Bravo pour la qualité de ce blog, par la réflexion qu'il propose et donc des réactions qu'il engendre (la preuve ci-dessus).<br /> S'il faut être de ces professeurs "progressistes" dont le "rôle est de réduire les inégalités face à l'accès au savoir et à la culture", alors : j'en suis et j'en serai !...en permettant aux "mômes qui n'ont pas de parents riches et cultivés" de s'émanciper des savoirs dispensés à l'école en s'interrogeant sur ce qu'il apprennent...et si ils finissent en "petits révolutionnaires" : pourvu qu'ils soient "bons", en effet !
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L
Je n'y avais encore jamais pensé, merci de m'avoir ouvert les yeux...Plus sérieusement, si c'est juste pour avoir le dernier mot, je vous le laisse.
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T
Votre rôle de prof progressiste est d'apporter aux mômes qui n'ont pas de parents riches et cultivés ce que les autres trouvent à la maison ! Votre rôle est de réduire les inégalités face à l'accès au savoir et à la culture.<br /> <br /> mais si vous préférez former de bons petits révolutionnaires, que voulez-vous que je vous dise...
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L
Quel rapport entre le mur des Fédérés et Robespierre ou entre Alésia et Jeanne d'Arc ? Si la chronologie consiste juste à savoir repérer "avant" et "après", effectivement, il n'y a pas grand chose à rajouter. On n'a même plus besoin d'aller à l'école.
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