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Journal d'école
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26 août 2017

Blanquer tombe le masque

« Au secours, Sarkozy revient ! » C’était le titre d’une note de blog (17/05/2017) à l’annonce de la nomination de Blanquer comme ministre de l’EN. De fait, dès sa prise de fonctions, le ministre multipliait les annonces, à destination non pas de l’école mais des électeurs et d’une certaine opinion publique nostalgique de l’école en blouse grise : retour à la semaine de 4 jours en primaire, mise à mal de la (pourtant timide) réforme des collèges, éloge du redoublement, création de mystérieux « internats ruraux », Fables de La Fontaine comme lecture obligatoire de vacances etc. Derrière le sourire un peu niais du personnage, c’était en fait une réaction brutale qui se dessinait. Mais l’entretien accordé par Blanquer à l’Obs (24/08) (1) et qui vaut circulaire de rentrée, va encore au-delà : le tournant que l’ancien Dgesco de Sarkozy veut faire prendre à l’école est en fait une véritable revanche non pas simplement sur la politique éducative du précédent gouvernement (qui n’a quand même jamais été révolutionnaire) mais sur un demi-siècle d’histoire de l’école.

En une phrase choc, Blanquer désigne l'adversaire : l’égalité (appelée "égalitarisme") et son auxiliaire, la pédagogie (ou "pédagogisme") : « Ce discours qu’on qualifiera d’égalitariste a surtout poussé à détruire des choses qui fonctionnaient parfaitement. C’est le cas en matière de lecture, mais on pourrait parler des mathématiques modernes. Ceci est d’autant plus choquant qu’on a utilisé ces méthodes pédagogiques fragilisantes avec les publics les plus fragilisés ». Un vocabulaire, tiré de la dialectique la plus éculée de la mouvance éducative réactionnaire (autour de SOS Education), qui fait de la pédagogie la source de tous les maux de l’école et de la société. Plus de 10 ans après son prédécesseur De Robien qui avait semé la pagaille dans les établissements autour de l’apprentissage de la lecture, Blanquer (qui avait d'ailleurs été directeur adjoint du cabinet dudit Robien) ressuscite la vieille querelle des « méthodes » - globale contre syllabique – qui n’existent que dans la tête de politiciens, d’éditocrates à la mode, d’idéologues, des nostalgiques des « bonnes vieilles méthodes » qui, en réalité, n’ont pourtant jamais fait la preuve de leur efficacité. Blanquer, qui se présente volontiers comme un « pragmatique », se montre en réalité sous un autre jour : dogmatique.

… dogmatique et brutal. Car – c’est l’autre enseignement à retirer de l’entretien à l’Obs – non seulement les enseignants seront formés à enseigner les « bonnes méthodes », recommandées par d’hypothétiques « neurosciences », dernière lubie de la rue de Grenelle en attendant la prochaine, mais les élèves seront évalués en fin de CP afin de s’assurer que « 100 % des élèves » - autre élément de langage à la mode – maîtrisent bien la lecture (avec le calcul et le respect, ce dernier se voyant promu au rang des apprentissages fondamentaux et relevant sans doute également des neurosciences…). Au passage, on voit avec quel mépris le ministre fait un sort à la dernière loi d’orientation, à peine entrée en application, jamais évaluée, qui organisait l’enseignement en cycles d’apprentissage (le CP rattaché aux CE1 – CE2 dans un cycle 2) permettant à chaque élève d’avancer à son rythme pour une réelle maîtrise des apprentissages fondamentaux. Ces tests obligatoires et formatés (également envisagés à l’entrée en 6e – ou pour l’entrée en 6e … ), sont la condition nécessaire à la sélection des élèves – autre idée fixe du ministre – prélude à une orientation précoce ; les enfants de ministre et de CSP+ n’étant généralement pas concernés par les difficultés d’apprentissage de la lecture, le but poursuivi est bien celui d’un tri social des élèves, sournoisement dissimulé sous la dénonciation de l’ « égalitarisme ».

Enfin, pour faire bonne mesure et s’assurer l’application docile de sa politique, Blanquer annonce son intention de mettre en œuvre ce vieux rêve de la droite politique, toujours repoussé y compris sous les gouvernements de droite, qui consiste à confier aux chefs d’établissement le recrutement des enseignants : « (...) oui, il est logique que le chef d’établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement. » Pour le « pragmatique » Blanquer, l’autonomie des établissements, c’est d’abord cela : renforcer le pouvoir de la hiérarchie sur les personnels afin d’assurer le strict respect des consignes. On n’a pas été directeur général de l’enseignement scolaire pour rien.

Bref, à quelques jours de la rentrée, il se confirme que les premières annonces du printemps dernier n’étaient pas que pure communication. C’est bien un projet cohérent que Blanquer reprend à son compte - à travers une brutale reprise en main idéologique - d’un système éducatif à visée essentiellement sélective, qui refuse le postulat de l’éducabilité de tous les élèves. Un projet qui, de façon très significative, retrouve le programme éducatif du candidat Fillon : un projet qui n’aurait jamais pu voir le jour si, de 2012 à 2017, la gauche au pouvoir avait eu un peu plus souvent le courage de ses convictions. Mais les convictions, la gauche en avait-elle vraiment ?

 

(1) La lecture de l'article est réservée aux abonnés. Le Café pédagogique en donne une bonne synthèse dans son édition d'aujourd'hui.

 

Voir aussi sur Mediapart

 

 

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Commentaires
U
J'ai oublié de mentionner ce qui me frappe le plus lors de mes discussions avec des enseignants : c'est leur sentiment de déclassement très fort. Et bien des enseignants ne formulent pas ouvertement ce sentiment en se perdant dans des détails. Résultat : ce n'est que par l'accumulation des témoignages que l'on finit par se faire une religion sur ce déclassement...
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U
C'est un peu à côté du thème de ce billet mais la guéguerre entre les méthodes d'apprentissage de la lecture m'ennuie. On nous parle toujours de deux méthodes (globale ou syllabique) quand on en rencontre bien d'autres. <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai naguère appris à lire avec une méthode phonémique, mon instit ne prisant pas la méthode Boscher alors beaucoup utilisée. Mon fils a appris avec une méthode graphémique après une année d'échec total avec une méthode dont je ne sais le nom. Une de ses copines a appris avec la méthode des alphas. Plusieurs de ses copains ont appris avec une méthode "Jean-qui-rit". J'ai oublié le nom (composé de deux noms propres) d'une méthode utilisée par des instits rencontrés ce printemps. Un copain instit utilise une méthode provenant de la pédagogie Freinet. N'étant pas enseignant, j'avoue n'avoir guère de lumières sur ces différentes méthodes. Mais il me semble y avoir toute une volée de méthodes et non seulement deux...<br /> <br /> <br /> <br /> Sur le fond de ton billet. J'ai un peu le sentiment d'être perdu. On voit bien le profil réactionnaire des ministres qui se succèdent à l'EN depuis belle lurette. Mais on a aussi une impression de grand flou quand on écoute les critiques. L'impression que cela vient de théories généralistes qui ne prennent pas assez en compte le fait que les enfants ne sont pas tous faits sur le même modèle. Et n'ont pas tous les mêmes besoins, la même vitesse d'apprentissage, le même environnement culturel, etc.
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