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Journal d'école
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5 mai 2007

"Vivre dans une société dictatoriale ou assumer la démocratie". Philippe Meirieu répond à Robien

Dans une interview à L'Huma (04/05), Philippe Meirieu répond à Robien qui avait déclaré à la radio : "Je me demande s'il n'y a pas lieu de faire condamner Monsieur Meirieu par des juges".

"Il faut choisir : vivre dans une société dictatoriale, ou assumer la démocratie "

"Dimanche, à Bercy, Nicolas Sarkozy s’en est pris à « l’héritage de 1968 qui a liquidé l’école de Jules Ferry », qualifiée d’école « de l’excellence et du civisme ». La violence du discours n’est pas neuve. En février, déjà, à Perpignan, Nicolas Sarkozy attaquait cette école post-soixante-huitarde, responsable du déclin de l’autorité professorale. Les réactions ont été vives parmi les acteurs de l’éducation. Pour le pédagogue Philippe Meirieu, les propos du candidat de l’UMP s’inscrivent dans le prolongement des discours éducatifs tenus sous le gouvernement de Vichy.

Nicolas Sarkozy fustige l’école d’après 1968. En quoi est-ce une année charnière pour le système éducatif ?

Philippe Meirieu : D’abord pour une raison qu’il a l’air d’oublier : c’est la première année où la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans a été effective. La décision date de 1959 et la mise en place des collèges de 1963. Mais c’est en 1968 que tous les élèves de seize ans ont été scolarisés. Cette année marque donc un progrès social considérable pour la France. Monsieur Villepin l’a, depuis, battu en brèche avec l’apprentissage dès quatorze ans (1). Ce renoncement est inédit et, à cet égard, il serait bienvenu de revenir à 1968...

Vous parlez de 1968 comme de l’aboutissement de mesures enclenchées en amont. Nicolas Sarkozy, lui, fustige « l’héritage de 1968 »...

Philippe Meirieu : Je parle de 1968 comme d’une étape dans la démocratisation du système scolaire parce que je regarde l’histoire dans son ensemble. Nicolas Sarkozy en parle avec une perspective étroite. Il fait mine d’oublier que ce sont aussi 6 millions de grévistes et un extraordinaire mouvement de libération de la femme. Il omet surtout qu’à l’époque, la France vivait sous une quasi-monarchie et que c’est le ras-le-bol de cette chape de plomb qui s’est exprimé. Quelles conséquences sur l’école ? Assez peu, à vrai dire. L’autonomie des universités, le remplacement des notes sur 20 par les lettres A, B, C, D, E, ce qui a fait long feu. L’apparition des représentants des élèves et des parents, aussi, et la disparition, ici ou là, des uniformes...

Le début de la fin de l’autorité ?

Philippe Meirieu : Nicolas Sarkozy ne doit pas travestir l’histoire. On ne peut en aucun cas dire que l’autorité des enseignants ou des parents s’est effondrée en 1968. D’ailleurs les gouvernements suivants se sont empressés de passer à la trappe une grande partie des réformes. Le système est redevenu autoritaire, le pouvoir des enseignants a été renforcé. En fait, l’idéologie de « l’enfant roi » que stigmatise Nicolas Sarkozy est bien plus portée par le système libéral que par mai 1968. Qu’est-ce qui caractérise les difficultés des enseignants ? C’est d’être face à des élèves soumis à un bombardement médiatique permanent sur le mode : « Tes désirs sont des ordres, consomme  » Des élèves fatigués, stressés, parce que sans cesse sollicités par la télévision. Des élèves dont les parents vivent une situation sociale et familiale difficile. Des élèves qui sont donc moins faciles à tenir que ceux d’avant-1968. Ce ne sont pas les événements de mai qui sont responsables. Mais la conjugaison de la dégradation sociale des familles et de la montée d’un système médiatique ravageur.

Mais peut-on parler de crise de l’autorité ?

Philippe Meirieu : Il faut être clair : la crise de l’autorité est quelque chose de consubstantiel à l’émergence de la démocratie. La seule manière de ne pas en rencontrer, c’est de vivre en monarchie, en dictature ou en théocratie. Dès lors que l’on prend le risque de la démocratie, on prend le risque que l’autorité soit discutée. Il faut savoir ce que l’on veut. Soit vivre dans une société dictatoriale. Soit assumer la démocratie, et admettre qu’il est nécessaire d’inventer de nouvelles formes d’autorité, à construire par l’action collective. C’est ce que porte la tradition de l’éducation populaire en France. Depuis 1936, elle ne cesse de dire que l’autorité ne peut être fondée sur le « croire ensemble » - le communautarisme -, ni sur « l’obéir ensemble ». L’autorité doit se fonder sur le « faire ensemble » et sur la compétence. Cette autorité-là est le contraire de celle défendue par Nicolas Sarkozy.

Il dénonce aussi la baisse du niveau scolaire et vante l’école de Jules Ferry comme mieux capable d’apprendre à lire et à compter aux élèves...

Philippe Meirieu : L’école de Jules Ferry a été un formidable progrès pour la République. Il s’agit de le poursuivre, pas de revenir en arrière. Le contexte de l’époque était particulier. Nous sortions de la guerre de 1870. Il fallait prendre une revanche sur l’Allemagne, construire l’unité nationale, éradiquer les patois... et maintenir la discrimination sociale. Jules Ferry n’a jamais été un partisan de l’égalité sociale. Il a d’ailleurs maintenu deux écoles publiques, l’une pour les pauvres, l’autre pour les riches.

Sommes-nous confrontés à une baisse de niveau ? C’est extrêmement difficile à dire. En revanche, l’école doit effectivement être plus exigeante. J’ai toujours défendu l’idée d’une pédagogie du « chef-d’oeuvre ». Soit une pédagogie qui ne se contente pas de payer d’une mauvaise note un devoir bâclé. Ça, c’est du laxisme. L’exigence, c’est d’accompagner chaque élève vers la réussite. C’est de dire à celui qui obtient 6 sur 20 : « Tu vas retravailler et on va t’aider pour que tu aies 15. » Or ce n’est pas l’école que nous propose Nicolas Sarkozy. Lui vise un système de sélection efficace, permettant de repérer et de valoriser les élites.

Pensez-vous que ses déclarations s’inscrivent dans la lignée des politiques scolaires mise en oeuvre par la droite depuis 2005 ?

Philippe Meirieu : Tout à fait. Plus largement, ils s’inscrivent dans le prolongement absolu de la pensée de la droite traditionnelle, de la droite dure française. Dans le prolongement des propos que tenaient, il y a bien longtemps, des gens comme Maurice Barrès ou Charles Maurras (2), ou dans le prolongement du discours éducatif du gouvernement de Vichy.

C’est une pensée traditionnelle, qui existe de longue date, contre laquelle la gauche s’est beaucoup battue. Et contre laquelle il faut continuer de se battre."

Ce texte est retranscrit du Bloc-notes de Philippe Meirieu

http://www.meirieu.com/nouveautesblocnotes.htm

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Commentaires
V
Je savais Meirieu nul en histoire (mais en quoi est-il bon d'ailleurs sinon en communication ?)mais là on touche le fond. J'apprécie particulièrement le dernier passage au vu de ce que j'ai posté ici même sur Vichy et le discours de Pétain ! <br /> Au passage, vu l'activité médiatique frénétique (j'avais mieux comme adjectif mais j'aime bien celui-là) du personnage, je me suis toujours demandé quel temps il pouvait bien lui rester pour s'instruire ? En tout cas il ne dort pas assez !
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