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15 octobre 2014

Rendez-vous de l'histoire à Blois : Valls fait main basse sur les rebelles

Valls, un rebelle ? C’est en tout cas ce qu’il assure, sans doute conforté dans sa prétention par la très flatteuse invitation qui lui a été adressée par les derniers Rendez-vous de l’histoire de Blois consacrés cette année aux rebelles. Objet de sa participation : un débat sur Clémenceau, lui-même honoré comme rebelle, et dont le premier ministre serait un spécialiste. Une double affirmation un tantinet péremptoire…

Pour apprécier à sa juste valeur l’ambigüité de la situation, il faut la replacer dans le contexte un peu particulier de cette 17e édition des Rendez-vous de Blois, marquée par la saine et vigoureuse polémique lancée en août dernier par Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie, récusant, arguments à l’appui, la place de choix réservée par les organisateurs, à l’occasion de la conférence inaugurale, à Marcel Gauchet, un philosophe dont les analyses et prises de position toujours largement médiatisées, se signalent bien davantage par la complaisance pour l’ordre établi que par un esprit de rébellion. D’où l’appel au boycott lancé par les deux jeunes contestataires qui refusent de « prendre part à l’une de ces innombrables opérations qui, dans le champ culturel, intellectuel ou médiatique, veulent toujours neutraliser les conflits ou les oppositions (…), ce qui revient à légitimer les opinions les plus violemment conservatrices et à construire un espace public et politique dans lequel circulent des thématiques, des problématiques et des visions engagées dans un combat contre tout ce qui cherche à affirmer un projet émancipateur et à défendre une inspiration critique. »

Une longue controverse s’ensuivit dont le plus grand mérite aura finalement été de montrer aux yeux de tous que le débat était parfaitement légitime : l’invitation d’une personnalité de premier plan à une manifestation comme celle de Blois ne peut pas être anodine, l’heureux bénéficiaire en espérant toujours quelque profit, pour son compte personnel ou pour les valeurs qu’il représente.

C’est en regard de cette considération qu’il faut interroger la présence à Blois – certes parmi plusieurs centaines d’invités - de personnages comme François Bayrou, Nicolas Baverez, Elizabeth Levy, Jean Peyrelevade ou encore Gonzague Saint Bris et d’autres encore dont les compétences historiennes et le penchant pour la rébellion ne sautent pas aux yeux. Sans oublier bien sûr, en guest star, Manuel Valls.

Reconnaissons que pour assurer au tandem Valls – Clémenceau une place de choix dans un festival d’histoire centré sur les rebelles, il aura quand même fallu quelque peu forcer la réalité historique (Clémenceau)  et malmener la déontologie (Valls). Sans chercher à refaire l’histoire ni à l’interpréter à la lumière du 21e siècle, vouloir à toute force faire de Clémenceau un rebelle relève soit de l’adoration béate pour les « grands hommes » du passé, soit carrément de la mystification. Car du « premier flic de France » (1906) et « briseur de grèves » qui n’hésite pas à utiliser l’armée pour étouffer la contestation sociale ou emprisonner les syndicalistes, au belliciste acharné qui réprime durement les mutineries de 1917 et refuse toute solution pacifiste à la guerre (1917-1918), la politique de Clémenceau, comme ministre de l’Intérieur ou président du Conseil a souvent consisté à casser du rebelle, sans état d’âme. Des rebelles à l’honneur à Blois ?

Peu importe à vrai dire que Valls puisse chercher dans Clémenceau sa source d’inspiration ou même s’en faire un étendard, sa présence au premier rang des Rendez-vous de l’histoire s’avère -  eu égard à sa personnalité et à son action publique - extrêmement contestable. C’est un singulier mésusage de la notion de rébellion que de penser qu’elle pourrait servir à qualifier une politique aussi brutalement stigmatisante que celle que mène le Premier ministre : contre les sans-papiers, contre les Roms, « qui n’ont pas vocation à vivre en France », contre les musulmans de France, constamment sommés de prouver que leur religion est « compatible avec la démocratie » et plus généralement contre des millions d’immigrés qui se voient refuser les droits civiques les plus élémentaires.

En réalité, la participation de Manuel Valls aux Rendez-vous de Blois apparaît comme un nouvel avatar de l’instrumentalisation de l’histoire à laquelle les politiciens de tout bord aiment se livrer : sans compétence historienne avérée, sans autre droit d’entrée dans le débat que leur notoriété ou leur carnet d’adresses, ils attendent de leur contribution toujours très médiatisée à une manifestation à forte valeur édificatrice – les rebelles, la résistance au nazisme, les droits de l’homme etc – un retour sur image dont ils pourront toujours tirer bénéfice pour la suite de leur carrière. Plus grave, le mélange  des genres et la confusion que cette pratique induit, pour aboutir, aux yeux d’une opinion publique sous-informée, à un brouillage des savoirs historiques et des valeurs qu’ils sont censés transmettre.

Dans le cas présent, si Valls est du côté des rebelles mais où sont donc les oppresseurs ?

 

B. Girard

voir aussi sur Rue89

 

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Commentaires
U
Les oppresseurs ? Mézenfin ! Ce sont tous ces salauds qui veulent un salaire à la fin du mois, ces salauds qui veulent une protection sociale, ces salauds qui veulent des lois réglant les relations entre le patronat et les esclaves, ces salauds qui ne veulent pas comprendre que nous sommes dans une guerre économique. On devrait faire comme en 1917. Les fusillés pour l'exemple redonneraient aux autres l'envie de se battre dans la compétition mondiale pour un euro de l'heure y compris le dimanche ou la nuit. ;o)
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