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Journal d'école
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5 novembre 2018

#pasdevague (4) : pour Blanquer, la raison du plus fort est toujours la meilleure

L’histoire, qui remonte aujourd’hui à 10 ans, avait défrayé la chronique (1).Dans une petite ville du nord de la France (Berlaimont), un professeur de collège avait été placé en garde à vue puis mis en examen pour avoir violemment frappé un élève de 6e.  Si ce dernier avait traité son prof de « connard », c’était en réaction à une première brutalité dont il avait été victime, une véritable « scène de violence » pour le procureur chargé de l’affaire. Non seulement, l’enseignant n’avait pas été sanctionné mais il avait reçu le soutien de ses collègues indignés (« on se reconnaît tous un peu dans l'injustice faite à ce prof parce qu'elle illustre la remise en question permanente de notre autorité», se lamentait une prof de maths), des syndicats, Snalc et Snes en tête, d’une pétition qui avait recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures, du ministre de l’EN (Darcos) et, suprême caution, du Premier ministre Fillon, scandalisé par le fait que l’élève n’ait pas été suffisamment puni (car dans le cas présent, c’est bien l’élève violenté qui avait été sanctionné) : « je soutiens les enseignants qui ont besoin d'un peu de disci­pline et d'un peu de respect. »  Finalement, ce sale gosse n’avait eu que ce qu’il méritait… La tempête médiatique passée, l’élève scolarisé dans un autre établissement, la discipline et le respect des maîtres restaurés, étaient venus le temps du procès et l’annonce du jugement, nettement moins médiatisés : en condamnant l’enseignant à 500 euros d’amende, la justice donnait tort aux collègues, aux syndicats, au ministre, au Premier ministre, à tous les braves gens qui s’étaient défoulés pendant quelques jours sur le thème de « la bonne paire de gifles qui n’a jamais tué personne… »  Le message était clair : un enseignant n’a pas tous les droits, sa parole n’est pas, par nature, au-dessus de tout soupçon.

Bref, en février 2008, une campagne d’hystérie malsaine qui n’est pas sans évoquer le climat délétère de ces derniers jours autour de #pasdevagues. Le fait que, dans le cas présent, la victime soit une enseignante, ne change rien sur le fond, puisque, dans l’histoire précédente, c’est l’enseignant coupable qui faisait figure de victime : même déchaînement de violences verbales, même excitation médiatique, même instrumentalisation politique. Avec en toile de fond cette même cible : ces jeunes qui n’ont plus de respect pour leurs maîtres et - insupportable pour beaucoup - cette prétention qu’aurait la parole de l’élève à être prise en considération face à celle des adultes.

De fait, dans le flot d’annonces avancées par Blanquer sur ce thème, l’une d’entre elles, curieusement peu commentée, revient sur l’égalité de traitement qui, selon lui, aurait prévalu jusqu’ici entre la parole de l’élève et celle de l’enseignant : « à partir du moment où un adulte a vécu un problème, s’il dit qu’il a été insulté, c’est qu'il a été insulté, il n’a pas de raison de dire autre chose que la réalité …» ajoutant un peu plus tard : « j’accorde plus de crédit à la parole du professeur qu’à celle de l’élève ». Autrement dit, si l’adulte est par principe dans la réalité, c’est que l’enfant, par principe est dans le mensonge et que l’enseignant, par principe a toujours raison. Dans cette logique, pourquoi réunir des conseils de discipline, pourquoi doter les établissements d’un règlement scolaire, pourquoi même remplir des bulletins d’appréciations à destination des parents, puisque la parole de l’enseignant ne se discute pas ? Cette dernière sortie du ministre - outre qu’elle confirme le peu de cas qu’on fait, à l’EN, d’une liberté élémentaire, la liberté d’expression, reconnue par la Convention internationale des droits de l’enfant (2) pourtant ratifiée par la France – non seulement n’est pas faite pour améliorer le climat scolaire, mais légitime par avance tous les excès, tous les abus de pouvoir. Avec des conséquences qu’on a sans doute oubliées.

Comme par exemple le fait que, dans une histoire récente, ce principe d’autorité, celui de l’obéissance jamais discutée, du respect systématique de la hiérarchie, a largement contribué à l’émergence des régimes politiques autoritaires. Lorsque le commandant du camp d’Auschwitz, Rudolf Höss, raconte son enfance, c’est celle, toute banale, vécue dans un système éducatif qui ne reconnaît pas la parole de l’enfant et fait de la soumission à l’autorité, quelle qu’elle soit, une valeur centrale de l’éducation.

 « (…) L’éducation que j’avais reçue de mes parents m’imposait une attitude respectueuse à l’égard de tous les adultes et surtout des personnes très âgées, indépendamment du milieu dont ils sortaient. Je considérais comme mon premier devoir de porter secours en cas de besoin et de me soumettre à tous les ordres, à tous les désirs de mes parents, de mes instituteurs, de monsieur le curé, de tous les adultes et même des domestiques. A mes yeux, ils avaient toujours raison, quoi qu’ils disent. Ces principes de mon éducation ont pénétré tout mon être. »

Rapprochement hors sujet ? L’importance accordée aujourd’hui, au moins dans les discours officiels, à la notion de respect, promue au rang des apprentissages fondamentaux, la confusion des genres entre le respect des individus et l’obéissance aux institutions, ne vont pas dans le sens d’une formation à l’esprit critique en dehors duquel l’éducation prétendument civique vire au conditionnement, au bourrage de crâne. En posant comme principe que l’enseignant, parce qu’enseignant, aurait toujours raison, un ministre irresponsable, adepte du populisme éducatif, poursuit sa croisade idéologique. Sans beaucoup d’opposition jusqu’à présent.

Sur la dissymétrie des rapports enfants/adultes, élèves/enseignants et l’hypocrisie sous-jacente, la lecture de Janusz Korczak est toujours éclairante :

« Nous dissimulons nos défauts et nos plus viles actions. Sous peine de grave offense, les enfants ne peuvent ni nous critiquer ni même s’apercevoir de nos faiblesses, de nos travers, de nos ridicules. Nous posons aux êtres parfaits et défendons nos secrets, nous, le clan au pouvoir, nous, la caste des initiés investis des tâches élevées (…) Tricheurs professionnels, nous jouons contre les enfants avec des cartes truquées en abattant sous les as de nos qualités les petites cartes de leurs faiblesses. Nous nous arrangeons toujours de manière à opposer ce qui est le plus précieux en nous à ce qui est le pire en eux (…) Au lieu de leur permettre de juger par eux-mêmes, nous leur imposons un respect aveugle pour l’âge et l’expérience (…) » (J. Korczak, Le droit de de l’enfant au respect, 1929)

 

(1)... et avait été abondamment relayée et commentée sur ce blog (rentrer Berlaimont dans le moteur de recherche)

(2) CIDE, 1989

Article 12 1. « Les états parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

Article 12 2. « A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant (…) »

Article 13 1. « L’enfant a droit à la liberté d’expression (…) »

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Commentaires
U
Blanquer me rappelle une blague éculée. <br /> <br /> <br /> <br /> Voici le règlement. Article 1 : le chef a toujours raison. Article 2 : quand le chef a tord, l'article 1 s'applique immédiatement. <br /> <br /> <br /> <br /> Ça ne vole pas haut ? Blanquer non plus...
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