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Journal d'école
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24 mars 2015

L'école dans le piège des élections

N’avoir d’autre choix électoral qu’entre la droite extrême et l’extrême-droite ? Les politologues, les sondologues, les experts en tout genre et autres chroniqueurs indéboulonnables des radios et des télés peuvent bien continuer à saturer l’espace médiatique de leur pseudo science et de leurs fausses évidences sur le thème éculé des « pauvres gens qui n’en peuvent plus » ; ils ne répondent pas à la question de savoir comment un pays qui reste l’un des plus riches du monde, civilisé (quoique…), doté de services publics globalement efficaces, peut se laisser berner par des bateleurs, des ambitieux  porteurs d’une idéologie politique qui ne répond à aucun de ses problèmes. Le discours plutôt que la réalité des choses : c’est un domaine où excelle l’Education nationale, tout spécialement depuis que les attentats de janvier ont largement contribué à détourner l’attention de l’opinion des enjeux éducatifs vers une voie de garage mais potentiellement à risques, celle des symboles qui, précisément, font le lit de l’extrême-droite.

Des attentats terroristes dans lesquels l’école ne porte pourtant aucune  responsabilité, les politiques unanimes, le gouvernement, les médias et sans doute une large partie de l’opinion publique ont tiré des enseignements, leurs enseignements : le passage à l’acte de trois meurtriers, les rires entendus dans certains collèges pendant la minute de silence, tout cela ne peut être que le signe d’une faillite morale du système éducatif qui les a vu grandir. Une réaction s’imposait qui ne pouvait passer que par le rétablissement des vraies valeurs mises à mal par près d’un demi-siècle de laxisme soixante-huitard. Et, de fait, la « grande mobilisation pour les valeurs de la République » décrétée solennellement par le Premier ministre et sa ministre de l’Education, les innombrables propositions  (de loi ou autres) lancées dans toutes les directions dressent un tableau édifiant de la jeunesse des prochaines années qui sera docile, patriote, fière de son pays… un peu comme on la rêve depuis toujours à l’extrême-droite, un peu, surtout, comme s’il était décidément impossible de sortir des fausses problématiques imposées par l’extrême-droite.

Nationalité, communautarisme, laïcité, autorité : était-il vraiment indispensable que le débat éducatif s’enferre dans ces concepts qui ne le concernent qu’à la marge ? Pourquoi, ces dernières années, les ministres successifs de l’Education nationale se sont-ils sentis tenus de les accrocher au cahier des charges de l’école ? Pourquoi s’obstiner à ne considérer l’identité collective qu’à travers la nation et ses symboles ? Pour quoi faire croire que la laïcité et la république seraient menacées par le voile de quelques élèves ou par les menus de substitution des restaurants scolaires ou encore que l’autorité passait d’abord par la punition, les leçons de morale et les règles apprises par cœur ? En se plaçant sur ce terrain, l’Education nationale a incontestablement contribué à donner une légitimité accrue aux représentations traditionnelles du Front national, au lieu d’en démonter les mensonges en se consacrant aux véritables priorités : la réussite de tous les élèves, l’apprentissage de règles de vie fondées sur la fraternité et la coopération, la formation de citoyens éclairés pour un monde qui ne sera pas celui d’hier.

En toutes choses, les choix ministériels sont particulièrement révélateurs de cette propension à privilégier ce qui ferait consensus, c’est-à-dire, en réalité, ce qu’impose l’extrême-droite (ou la droite, tant la différence est ténue), à contourner les obstacles plutôt qu’à les affronter. Ainsi, la rentrée 2015 – quatrième rentrée gérée par la gauche depuis 2012 – sera principalement consacrée aux programmes d’éducation civique et morale, à la préparation de la journée laïcité, aussi futiles l’une que l’autre - quand la loi d’orientation censée « refonder » l’école s’égare dans le dédale d’un calendrier d’application toujours plus hypothétique. Alors que la droite affiche sans scrupules ses conceptions éducatives, brutales et réactionnaires, la gauche s’avère incapable de s’en démarquer. Faut-il alors s’étonner de l’abstention massive aux élections, puisque face au discours bruyant de la droite, la gauche n’a aucun projet, aucune idée neuve à proposer. Une constatation qui ne se limite évidemment pas au seul domaine éducatif.

La  direction politique imposée à l’école ces derniers mois, surtout depuis les attentats de janvier, débouche sur une impasse : en reprenant à son compte l’interprétation sécuritaire-identitaire développée par la droite extrême et l’extrême-droite, le gouvernement non seulement ne se donne pas les moyens de réformer le système éducatif mais il renforce les frayeurs et les fantasmes d’une opinion publique majoritairement conservatrice, confortée dans ses préférences électorales sans issue.

Reste que dans cette démocratie de façade, gangrenée par le jeu des ambitions politiciennes à courte vue, l’alternative n’est pas impossible, certes pas sous la forme d’une bien improbable victoire électorale mais à travers les initiatives venues de la société civile, bien vivace elle, tout spécialement dans le milieu éducatif. Elles sont le fait entre autres (liste non limitative) :

- d’enseignants qui, patiemment, au jour le jour, travaillent à faire progresser leurs élèves, sans se soucier du brouhaha médiatique ;
- des mouvements pédagogiques dont les convictions et l’intelligence s’affirment comme de vraies réponses à de vrais problèmes ;
- d’enseignants d’histoire – géographie qui, en pleine hystérie post attentats, ont pris la plume pour s’adresser « à certains intellectuels, journalistes, romanciers et à toutes celles et tous ceux qui croient connaître les jeunes des quartiers populaires » ;
- ou encore d’individus isolés, à l’écoute de leur conscience personnelle, comme cette femme qui, courageusement, sans rien demander à personne, s’en va déposer à l’Elysée, au Palais Bourbon, au ministère de l’Education nationale,  la pétition qu’elle a lancée réclamant de nouvelles paroles pour la Marseillaise.

Pour en finir avec les soirées électorales cafardeuses et la perspective de lendemains qui ne chantent pas, les vieilles lunes populistes, ce sont de nouveaux chemins qu’il faut explorer.

 

B. Girard

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