Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal d'école
Publicité
Archives
18 août 2008

Du bon usage de la mort des enfants

Au cours de ces dernières semaines, la mort accidentelle de plusieurs enfants, crapuleuse ou non, a fait l’objet – en plus d’une présentation médiatique surdimensionnée et souvent racolleuse (TF1 annonçant la mort d’un petit garçon égaré finalement retrouvé sain et sauf, voilà de quoi assurer l’audience d’une chaîne...) – d’une récupération politique obstinée et malhonnête. Après la mort de Valentin, la ministre de la Justice a cru bon se mettre en avant avec un sens du spectacle qui, en ces circonstances, révèle surtout une grande impudeur. Faut-il croire que Dati ait été davantage émue par la mort atroce d’un garçon de 11 ans que le commun des mortels ? Ou plutôt que la mise en scène de la compassion devant micros et caméras cache des préoccupations moins avouables ? Pour Dati, un crime est d’abord l’occasion de vendre sa politique, d’en démontrer les bienfaits même si, comme c’est le cas avec la mort de Valentin, on en perçoit que mieux l’inanité. La ministre a beau vanter les bienfaits de la rétention de sûreté, des peines planchers, du dépistage génétique ou de la vidéo-surveillance, rien de tout cela n’a empêché le meurtre d’un enfant ni même permis de retrouver les coupables. Si ces derniers ont pu être arrêtés assez rapidement, c’est tout simplement, qu’avec leur chat noir tenu en laisse, ils ne se cachaient pas. Prétendre que des techniques de surveillance les plus sophistiquées ou qu’une législation pénale toujours plus répressive seraient de nature à prévenir le passage à l’acte d’un déséquilibré revient à égarer l’opinion publique. Mais il est vrai que, sur ce thème, l’opinion publique ne demande peut-être que cela.

Presque au même moment, un bébé d’un an mourait écrasé par une pierre lancée inconsidérément par deux garçons de 13 et 14 ans. Même si l’intervention de la Justice est  légitime, le drame relevait ici du fait divers et non du fait de société comme on a voulu le faire croire. Depuis la nuit des temps, les garçons, jusqu’à un certain âge, s’amusent à lancer des pierres ; mais aujourd’hui, c’est le signe d’une jeunesse « déboussolée », « sans repères », de parents « démissionnaires » et bien évidemment, d’un système éducatif laxiste qui produit des « barbares ». Face à cette menace, le juge, aiguillonné par son procureur, a trouvé bon de faire emprisonner les deux enfants, menaçant le plus jeune de vingt ans de prison. Incarcération immédiate, vingt ans de prison pour le geste malheureux d’un enfant de 13 ans ! La justice procède-t-elle de même pour un automobiliste responsable d’un accident mortel par imprudence ? Certes non mais on ne peut s’empêcher de penser que dans le cas présent, il s’agit d’abord d’un signal fort adressé à une opinion publique nostalgique des maisons de correction, prompte à dénoncer l’impunité dont jouiraient les mineurs. Impunité d’ailleurs toute fantasmée, puisque, comme on le voit et contrairement au discours rabâché par Dati, à ses invectives contre la justice des mineurs et l’ordonnance de 1945, la justice peut se montrer particulièrement brutale lorsqu’il s’agit des mineurs. On ne doute pas que, dans quelques mois, lorsqu’elle présentera son nouveau projet de loi sur la justice des mineurs, elle saura exploiter ce drame pour arriver à ses fins : condamner les mineurs aussi lourdement que les adultes et flatter au passage une large fraction de l’électorat. Il est d’ailleurs curieux de constater comment, avec Dati, l’enfant-victime est utilisé pour renforcer la peine du coupable alors que l’enfant-coupable se voit refuser l’excuse de minorité.

Mais on se rend bien compte que les enfants morts ne bénéficient pas tous du même statut. A côté des drames tellement détournés à leur profit par des politiciens sans scrupules qu’on pourrait les qualifier de providentiels, il en est d’autres qui ne bénéficient pas du même impact médiatique, vite oubliés parce qu’on ne voit pas très bien quel projet de loi populaire ou démagogique on pourrait en tirer. Par exemple, à Allinges, il y a deux mois, sept enfants, collégiens d’une classe de 5e, ont été tués, coincés dans leur car scolaire à un passage à niveau. Les passages à niveau sont réputés dangereux, les accidents n’y sont pas rares mais on n’a jamais entendu parler d’un plan d’ensemble pour les faire disparaître. Je sais bien qu’il ya quelques jours (le 30/07/2008, sur RMC) le secrétaire d’état chargé des Transports a évoqué une possible solution du problème à l’horizon 2014 (ce qu’on peut traduire, lorsque l’on connaît le sérieux de ce genre de calendrier, par les calendes grecques) mais on a surtout cru comprendre qu’il s’agirait d’équiper les passages à niveau de caméras de surveillance ( !), afin d’identifier les automobilistes engagés une fois les barrières baissées. Mais également, bien sûr, de fournir aux télés les superbes images de corps broyés et déchiquetés dont elles raffolent.  Et pourtant, s’il est un domaine où la puissance publique a l’obligation et la possibilité d’intervenir efficacement pour sauver des vies, c’est bien celui de la sécurité routière. Alors que l’on n’empêchera jamais un déséquilibré d’assassiner un enfant, que rien n’interdira à de jeunes garçons de commettre des imprudences qui peuvent tourner au drame et que, d’une certaine façon, on ne peut guère éviter que des arbres s’écrasant sur un camping tuent des fillettes dormant sous leur tente, les politiciens s’interdisent au contraire d’intervenir là où c’est leur rôle. Sans doute parce que ça coûte cher mais plus vraisemblablement, parce que supprimer des passages à niveau est électoralement moins payant que remplir les prisons, rétablir les maisons de correction voire la peine de mort.

Le gouvernement a fait de la compassion affichée son arme de communication favorite : chaque victime, surtout lorsqu’il s’agit d’enfants, se doit d’être honorée, célébrée, mais à condition qu’on en reçoive quelque chose en retour. Contrairement à l’opinion répandue, il n’est pas du tout certain que notre époque manifeste une plus grande sensibilité que par le passé pour le sort des enfants : après tout, chaque jour dans le monde, des milliers d’enfants souffrent ou meurent de malnutrition, de maladies courantes ou à cause des guerres, au milieu d’une large indifférence. Et en France même, dans le Cotentin, quelque part du côté de La Hague, la surmortalité enfantine par leucémie n’a jamais suscité beaucoup d’indignation ni même d’attention. La mort d’un enfant ne semble digne d’intérêt que lorsqu’elle peut être instrumentalisée en fonction d’un bénéfice politique attendu. Dans le contexte sécuritaire de ces dernières années, ce n’est pas tant la pitié pour l’enfant qui fait réagir que la stigmatisation du délinquant : la mort de l’enfant est le signe du bien-fondé de la répression, même quand la répression tourne à vide comme c’est le cas aujourd’hui.

Publicité
Publicité
Commentaires
O
Qui paie le wergeld? Deux ados assassins sont faciles à châtier par la famille qui a perdu son bébé- peut-être seul espoir de continuation d'une lignée. Laissez-les se pavaner devant leurs camarades de classe, et commencez le joli post qui commenterait leur élimination.
Répondre
T
"La mort d’un enfant ne semble digne d’intérêt que lorsqu’elle peut être instrumentalisée en fonction d’un bénéfice politique attendu. Dans le contexte sécuritaire de ces dernières années, ce n’est pas tant la pitié pour l’enfant qui fait réagir que la stigmatisation du délinquant : la mort de l’enfant est le signe du bien-fondé de la répression, même quand la répression tourne à vide comme c’est le cas aujourd’hui."<br /> <br /> Une bonne analyse Lubin, malheureusement !<br /> <br /> La perte d'un enfant est indescriptible pour des parents.<br /> Il n'est pas indécent cependant d'y joindre la révolte et le chagrin, à moins que ce ne soient les doutes et les interrogations, de l'opinion publique solidaire.<br /> <br /> Mais enfin, pourquoi et comment ne pas y associer celle de centaines d'enfants chaque jour à travers le monde ?<br /> <br /> Les journalistes répondent que leur boulot consiste aussi à parler aux gens de ce qui les touche en premier lieu, autrement dit, les faits divers de proximité.<br /> <br /> Les gens devraient à partir de là élargir leur curiosité.<br /> <br /> C'est bien faire confiance à certains crétins !
Répondre
B
Je pense qu'il vaut mieux leur écrire, je pensais comme vous avant, mais j'ai décidé d'écrire notemment au gouvernement, et à d'autres endroits, bien sûr défois ça ne sert à rien, mais défois j'ai réussi à "faire passer le message" !<br /> <br /> Et ça leur montre au moins qu'il y a une "pression" contre eux, ça a peut être joué dans la "libération" des 2 enfants.
Répondre
L
Sur l'affaire de Corse, je renvoie au point de vue de Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny :<br /> http://jprosen.blog.lemonde.fr/2008/08/19/la-prison-pour-un-jet-de-pierre-et-apres-265/<br /> Quant à envoyer ce texte au gouvernement, y songez-vous sérieusement, Bubul ? Qu'en pourraient faire ces aveugles et ces sourds ?
Répondre
B
Je rajouterais que si on condamne si facilement les jeunes et les enfants, c'est parce qu'il est facile de s'en prendre à eux, ils sont plus faible et dépendant de leurs parens, dans d'autres cas, on parle d'abus de faiblesse, mais là on préfère souvent cacher les abus sous le mot "éducation" !
Répondre
Publicité