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Journal d'école
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12 septembre 2010

ERS : Ciotti éducateur

[Version actualisée d'un texte paru sur Journal d'école le 13/07/2010]

Le ministre de l’Education nationale inaugure le 13 septembre dans les Alpes-Maritimes le premier établissement dit « de réinsertion scolaire » (ERS), une dénomination qui convient bien mal à un type de structure qui vise principalement à exclure.

Organisés sans aucune concertation, par une simple circulaire parue au Bulletin Officiel (29/06/2010), les ERS ont été imaginés pour recevoir dans le cadre d’un internat des élèves qualifiés de « particulièrement perturbateurs » mais dont il est bien précisé qu’ils ne relèvent pas « d’un placement dans le cadre pénal ». Cependant, s’ils ne sont pas délinquants, ils sont traités comme tels, comme le montrent en particulier les modalités d’inscription qui vont jusqu’é déposséder les parents de leurs droits éducatifs les plus élémentaires : quoique l’accord de la famille soit sollicité, il n’est plus obligatoire, en cas de refus, « une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie (…), afin que puisse être étudiée l’opportunité de prononcer un placement. », un placement dont il est par ailleurs précisé qu’il « durera aussi longtemps que nécessaire ». Autrement dit, il ne s’agit donc pas  d’inscription dans un établissement scolaire mais d’enfermement privatif de liberté, sur simple décision administrative, pour des élèves âgés de 13 à 16 ans qui ne sont pas délinquants. Un arbitraire proprement ahurissant qui ne se donne même pas la peine de respecter les règles du droit.

L’encadrement devrait être assuré par des enseignants « sur la base du volontariat »,  qui n’auront de fait reçu aucune formation particulière mais aussi avec des « partenaires locaux », parmi lesquels … le ministère de la Défense, dont on se demande bien quelles peuvent être les compétences éducatives.

L’emploi du temps regroupe les activités purement scolaires sur la seule matinée, le reste étant consacré à diverses occupations, qualifiées d’ « ateliers citoyens », menées en collaboration avec des partenaires choisis notamment dans les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur. Avec ce que le directeur général de l’enseignement scolaire, auteur de la circulaire, appelle sans rire « une organisation du temps innovante », on ne voit pas comment des élèves déjà en difficulté pourraient suivre une scolarité digne de ce nom et réintégrer le cursus scolaire normal. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif : il est bien précisé que le DNB (diplôme national du brevet) ou les ASSR (attestation scolaire de sécurité routière), exigibles de tout collégien, ne devront ici faire l’objet de certification que « chaque fois que cela est possible ». C’est donc bien d’une mise à l’écart définitive qu’il s’agit, prélude à une « orientation » expéditive vers le monde du travail : si le statut scolaire est envisagé pour respecter les formes, dans les faits, les plus âgés n’auront guère le choix qu’entre le lycée professionnel et l’apprentissage.

Avec cette circulaire, on se trouve en face de quelque chose qui ne respecte aucune des règles traditionnellement en vigueur en matière éducative : des élèves, souvent très jeunes (13 ans…), qui n’ont commis aucun délit, se voient ainsi enfermés d’autorité, pour un temps indéfini, dans quelque chose qui ressemble plus à la prison ou à la caserne qu’à un établissement scolaire. Une initiative pas entièrement nouvelle, qui remet au goût du jour les sinistres colonies pénitentiaires – Mettray, Aniane, Belle-Ile-en Mer – de la fin du 19e siècle, où des générations de pauvres gosses, issus de milieux défavorisés, passaient leur jeunesse avant d’être remis entre les mains du patronat, soumis aux caprices d’un encadrement brutal et incompétent.

Le coût exorbitant de cette structure – 15 350 euros par élève, le double de la dépense moyenne pour un élève ordinaire (le Monde¸02/09/2010) - avec un encadrement de 12 adultes pour 13 élèves, pas moins, est à mettre en regard de la politique éducative menée par le gouvernement : augmentation des effectifs par classe, suppression des enseignants spécialisés, remise en cause de l’éducation prioritaire, disparition de la formation des enseignants, économies budgétaires en tout genre ciblées sur les mouvements pédagogiques, les psychologues scolaires, la santé scolaire. Autrement dit, une politique qui touche les élèves les plus en difficulté et favorise l’échec scolaire, que l’on prétend en retour combattre par des mesures aussi brutales qu’inefficaces.  Une vingtaine de ces établissements regroupant chacun 15 à 30 élèves seraient prévus : ainsi, parce qu’on aura enfermé quelque 3 à 400 élèves, c’en sera fini des élèves qui perturbent à eux seuls le bon fonctionnement du système éducatif et la vie de 12 millions de leurs camarades.

Le choix des Alpes-Maritimes n’est évidemment pas anodin, le conseil général, présidé par Eric Ciotti ayant débloqué la somme de trois millions d’euros pour l’occasion (le Monde, ibid.). Ces derniers mois, Ciotti, délégué UMP à la sécurité, s’est signalé par des interventions aussi incongrues que médiatiques dans les questions éducatives, développant une animosité toujours renouvelée contre les parents d’élèves absentéistes désormais privés d’allocations familiales ou contre les parents jugés défaillants qu’il voudrait faire emprisonner (Journal d’école, 02/08/2010).  Manifestation supplémentaire de stigmatisation des familles modestes mais aussi déni d’éducation : pour Ciotti, comme pour les promoteurs des ERS, les difficultés scolaires sont une forme de délinquance qui doit être regardée commet telle.

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Commentaires
T
Rodolphe a écrit : "J'ai dit que la décision finale devait leur revenir en dernier lieu."<br /> <br /> Ce qui donc laisse supposer que la décision / le choix ne leur reviennent effectivement pas toujours.<br /> <br /> Fallait-il le préciser ?<br /> <br /> Bien cordialement, <br /> <br /> Théo
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R
Je n'ai pas dit qu'ils ne devaient pas être épaulés, conseillés, guidés dans leurs choix. J'ai dit que la décision finale devait leur revenir en dernier lieu.
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T
Comme vous Rodolphe, je crois bien que pas mal de vos élèves devraient à 15 ans savoir déjà ce qui les intéresse, tout au moins potentiellement, et pourquoi ils suivent des études, et surtout quelles études.<br /> <br /> Quoique.<br /> <br /> Il faut savoir encourager nos élèves indécis à se poser la question de leur formation ultérieure, mais aussi les aider pour un choix qu'ils ne sont pas toujours capables de définir seuls, en leur faisant connaître par exemple la multitude de métiers possibles pour eux, qu'ils aient le niveau ou qu'ils s'efforcent de l'atteindre. <br /> <br /> De mon temps, (avant mai 2007 en gros) ce rôle était dévolu aux CIO (conseillers d'information et d'orientation), qui vous envoyaient péter parce que vous les faisiez chier avec des prétentions illusoires (moi à 15 ans, je voulais devenir psychiatre puis l'année d'après conseiller juridique, n'importe quoi donc, je suis instituteur), mais avaient au moins le mérite, donc, de vous remettre à votre place, et surtout, n'étaient jamais avares d'informations et de recherches.<br /> <br /> Qu'en est-il aujourd'hui ?<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> Théo
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R
Par exemple, Jules Vernes, qui était une vraie saloperie, a fait interner son fils dans une maison de correction très dure.<br /> <br /> Il y avait aussi la possibilité d'appeler les gendarmes pour mettre directement ses enfants en prison, sans jugement. Je n'invente rien, demandez à Lubin, il ets historien.
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R
Bien entendu, Théo, déformation professionnelle : je raisonne en songeant à mes lycéens... <br /> <br /> Je pense par exemple qu'ils devraient au lycée pouvoir faire leurs démarches d'orientation eux-mêmes : inscriptions, appel en commission, et non par l'intermédiaire des parents. Je pense que l'instauration d'une pré-majorité vers 15 ans donnant des droits personnels est une nécessité et que nous sommes très en retard sur nos voisins sur ce sujet.<br /> <br /> Enfin, je crois de plus en plus qu'il faudrait instaurer des droits politiques au lycée, car ce sont des citoyens en formation. Je vois un système dans lequel en tant qu'élèves ils auraient plus de droits d'expression que nous, qui conserverions un devoir de réserve.
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