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Journal d'école
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7 octobre 2017

Blanquer à l'école du Sénat

Avec la réélection de Gérard Larcher, c’est, sur le sujet de l’école, un réactionnaire décomplexé que les sénateurs ont renouvelé à la tête de leur assemblée, parfaitement en phase avec les orientations, les prises de position de l’actuel ministre de l’Education nationale.

C’est un rapport (« La nation française, un héritage en partage », tout est dans le titre…) qui lui avait été commandité par le président Hollande dans le cadre de la « grande mobilisation républicaine » (sic) consécutive aux attentats de 2015, qui a donné à Larcher l’occasion de préciser ses conceptions en matière éducative. A défaut d’une analyse, un catalogue de clichés, un condensé de dénonciations faciles tirées de l’inépuisable répertoire réacpublicain. Si, depuis quarante ans, tout va mal à l’école, la responsabilité en incombe aux « pédagogies constructivistes [qui] ont pris le pouvoir dans l’enseignement », le constructivisme étant compris ici comme la primauté donnée à la « spontanéité de l’enfant ». Les solutions avancées sont à l’image du constat posé : simplistes. Il suffit en effet, d’une part de restaurer « l’autorité du maître qui transmet et la primauté des savoirs sur tout pédagogisme », d’autre part de « donner une plus grande autonomie à chaque établissement », autonomie comprise comme le libre choix des enseignants par le chef d’établissement.  Bref, dans la bouche du deuxième (ou troisième ?) personnage de l’état, toute la litanie des poncifs pour les habitués du Café du commerce : dénonciation du « pédagogisme », savoirs contre pédagogie, transmission contre activité de l’élève, enseignants sous la coupe d’un chef etc.

D’où tient-il ses certitudes ? Nul ne sait mais il cite abondamment comme inspirateurs Luc Ferry, Darcos, Blanquer (« penser que la culture antique correspond à une culture élitiste que l’on doit évacuer du collège est en réalité antisocial ») et surtout Finkielkraut avec qui il s’entretient longuement. Le « philosophe » officiel, spécialiste auto-proclamé de l’éducation, de la laïcité et de beaucoup d’autres choses, se montre tel qu’en lui-même dans ses phobies et ses dénonciations maladives : « C’est terrible…. – Déjà, la culture générale est supprimée de certains concours administratifs. C’est ainsi que l’on raisonne à l’école, dans le primaire, le secondaire et dans le supérieur. » Face à ce cataclysme éducatif, l’urgence est de rétablir « la rigueur, l’exigence, l’autorité des maîtres, incompatible avec l’interdiction du redoublement. Tous les efforts doivent être faits en faveur d’un apprentissage de la langue française, dans toute son ampleur, toutes ses nuances, une langue habitée par la littérature. Or elle a été sacrifiée, comme en témoignent les recommandations aux examinateurs… » Bien sûr, Finkielkraut n'a jamais consulté les programmes officiels de l'EN, Larcher non plus, ce qui n'empêche pas ce dernier d’approuver, concluant l’entretien par une dénonciation sans appel de cette « folie collective » qui a fait sombrer l’école de nos pères…

Mais c’est évidemment à « la restauration de la cohésion nationale » que le président du Sénat entend œuvrer, cohésion tellement malmenée par des décennies d’enseignement de l’histoire qui ont fait oublier leurs racines aux petits Français. « L’enseignement de l’histoire – écrit-il – doit permettre à chaque élève de se réapproprier le roman national qui repose sur l’idée que la communauté nationale est le fruit d’une construction volontaire, d’un progrès constant, d’un destin propre à la nation française. » Il se fait lyrique, genre Guaino : « (…) les grandes dates, les grands personnages, les grands événements, les grandes idées doivent ponctuer cet enseignement et chaque élève doit pouvoir y trouver une source d’intelligence et de réflexion, d’identification et de fierté », pas moins. En finir surtout avec « cet esprit victimaire », encouragé par des programmes scolaires qui « transforment une partie de la jeunesse en victime [d’un] passé douloureux… [au] risque d’attiser la haine de la nation, c’est-à-dire la haine de soi. » Ce que Finkielkraut traduit dans son style inimitable : il faut que « les élèves puissent oublier leur communauté d’origine. »

Pourquoi faire remonter à la surface ce rapport publié en avril 2015 par le président du Sénat ? Un rapport d’ailleurs contemporain d’une autre publication du même Sénat, porteur des mêmes préoccupations, accouchée dans des conditions analogues par une commission d’enquête qui s’était auto-saisie à propos de « la perte des repères républicains à l’école » … censée expliquer les attentats terroristes de janvier 2015. Car comme l’avait sentencieusement annoncé le Premier ministre de l’époque (on a oublié son nom) c’est dans le système éducatif qu’il fallait rechercher la cause des attentats : « à l’école, on a laissé passer trop de choses ». Au terme de 5 mois d’auditions au cours desquelles le rapporteur Grosperrin (LR) et la plupart de ses collègues s’étaient défoulés sur le système éducatif, sur les élèves, les enseignants et les jeunes de banlieues, la commission avait finalement rendu public un rapport à charge, dont le candidat Fillon devait largement s’inspirer pour sa campagne électorale. On y trouvait déjà, entre autres propositions :

«- Évaluation de la maîtrise du français tout au long de l’enseignement élémentaire, notamment en CM2 conditionnant l’accès en 6ème, l’apprentissage de la langue française devenant l’axe central des programmes du primaire.
- Interdiction des tablettes au primaire et mise à l’étude d’un dispositif de brouillage des téléphones portables dans les écoles et les collèges.
- Renforcement de l’autonomie des chefs d’établissement, en leur donnant un droit de regard sur le recrutement des nouvelles équipes (…)
»

Deux ans et demi plus tard, difficile de ne pas faire le lien entre la politique menée par Blanquer (sélection des élèves, dénonciation de la pédagogie, vision identitaire de l’enseignement de l’histoire) et les vieux fantasmes éducatifs de la droite sénatoriale la plus réactionnaire.

 

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