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Journal d'école
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25 mai 2013

Drapeau, Marseillaise, morale laïque : l'ordre moral au menu de l'école

Septembre 2012 : pour sa première rentrée en tant que ministre de l’Education nationale, Peillon met en place les leçons de morale laïque à l’école. Septembre 2013, pour sa seconde rentrée, Peillon met en place le drapeau tricolore dans chaque école. La refondation du système éducatif, elle, attend toujours, sans doute pas le souci premier d’un ministre, manifestement davantage préoccupé par les effets d’annonce et, plus inquiétant, travaillé par des obsessions idéologiques qui se dévoilent au fil des mois.

Après les députés au cours de la première lecture de la loi d’orientation, les sénateurs viennent à leur tour d’adopter un amendement gouvernemental, chaudement soutenu par la droite, obligeant chaque établissement scolaire à pavoiser aux couleurs nationales, Peillon insistant personnellement pour que la mesure soit inscrite dans le code de l’éducation. Il faut croire que la chose est importante.

Mises bout à bout, les décisions ministérielles sur la morale laïque et les symboles nationaux, indéniablement, font sens. Elles entrent dans une logique que Peillon avait unilatéralement définie il y a quelques mois, avec des déclarations auxquelles on n’avait alors que peu prêté attention : la morale laïque, avait dit le ministre, répond à un impératif de « réarmement moral (…), de redressement intellectuel et moral », avant d’ajouter du haut de sa chaire de prédicateur : « il faut assumer que l’école exerce un pouvoir spirituel dans la société. » Et déjà, la patrie pointait sa triste tête : « Nous devons aimer notre patrie (…) apprendre notre hymne national me semble une chose évidente » Par ce « notre », il faut évidemment comprendre que chaque élève, chaque citoyen de ce pays ne peut avoir d’autre patrie que celle de Peillon. 

Ce faisant, en privilégiant les symboles nationaux et des principes « à inculquer », le ministre délaisse le terrain de l’action politique pour se réfugier dans le discours moralisant, décontextualisé, coupé du temps présent comme de la réalité du terrain, refusant de comprendre que le défi auquel l’école est confrontée est d’abord un défi social. Si l’on veut bien considérer que les difficultés scolaires de tous ordres, l’échec scolaire touchent en priorité les établissements et les élèves des quartiers défavorisés – une évidence statistique – on ne voit pas bien en quoi l’apprentissage de la  Marseillaise, le drapeau ou les leçons de morale permettraient d’y faire face. Il est faux de prétendre, comme le fait Peillon, qu’aucun ministre n’a jamais fait autant que lui pour l’Ecole, alors que son action depuis plus d’un an brille par son manque d’ambition et la pauvreté de son imagination : quelques postes supplémentaires, certes, mais noyés dans la croissance des effectifs et rigoureusement rien sur les fondements d’un système éducatif qu’on sait obsolète mais que les conservateurs de toutes obédiences s’emploient à perpétuer. Une réforme des rythmes scolaires renvoyée aux calendes grecques, une refonte des programmes discutée dans l’ombre des bureaux ministériels, l’abandon à son sort de l’enseignement secondaire pourtant mal en point, des modalités d’évaluation sclérosées, une administration toujours aussi autoritaire et étouffante, rien n’a changé, la lettre de rentrée fixant les orientations pour l’année 2013-2014, confortant le système dans un immobilisme dont les milieux défavorisés, dont les enfants pauvres font les frais. Comme tous les conservateurs, Peillon néglige la réalité sociale pour se satisfaire d’un discours à visée édifiante, de « redressement moral », en réalité un discours d’ordre moral.

Le conservatisme du ministre, sa volonté de ne rien changer à un système scolaire fondamentalement injuste et inégalitaire, sont aggravés par sa fixation maladive sur les symboles nationaux, dont la présence renforcée dans les établissements est très éloignée des valeurs civiques qu’on leur prête bien inconsidérément. Le drapeau, comme la Marseillaise, obéissent à une double injonction : imposer de force à toute la jeunesse le dogme d’une communauté de peuple rassemblée dans la nation – un concept tellement artificiel que le législateur ne peut le défendre autrement que par le bourrage de crâne et les poursuites pénales (délit d’outrage aux symboles nationaux) – mais aussi, en faisant de cette appartenance le fondement de la vie en société, établir au sein d’un même établissement, d’une même salle de classe, une discrimination brutale entre les élèves français de souche – pour reprendre cette terminologie hideuse qui a désormais droit de cité à l’école - et ceux qui ne le sont pas.

Le drapeau à l’école, c’est cela finalement : endoctrinement et stigmatisation. Le drapeau sur la façade de l’école ? Mais derrière la façade, à l’intérieur de l’école, vivent des centaines de milliers d’élèves dont les parents se voient refuser les droits politiques les plus élémentaires, au premier rang desquels le droit de vote. Derrière ce symbole qui se veut fort, en tout cas médiatique, on aura quand même du mal à cacher les expulsions toujours plus brutales et massives de sans-papiers, les rafles dans les campements roms, le contrôle policier des quartiers défavorisés, la crispation sur une laïcité intolérante, des domaines où le gouvernement de Peillon, paraît-il de gauche, se vante de faire mieux que la droite. Quand la patrie est une marâtre, on ne voit pas pourquoi ses enfants seraient tenus de la respecter, elle et ses oripeaux.

Avec cette nouvelle lubie politicienne, entre mystification et provocation, l’école n’en finit pas de payer un lourd tribut à l’égarement identitaire qui gangrène l’action politique ces dernières années. Dans une société éclatée par la crise économique, un gouvernement sans courage ni imagination désigne l’ennemi : non pas le chômage, la pauvreté, les inégalités, la dégradation de l’environnement mais le mauvais Français ; non pas la fracture sociale mais la fracture ethnique. Une posture typiquement conservatrice, finalement très cohérente avec les convictions affichées par le ministre de l’Education nationale affirmant sans scrupules qu’il ne voyait « pas de différence entre une morale de droite et une morale de gauche ». Très œcuménique, ce ministre : avec la Marseillaise et le drapeau obligatoires, avec des programmes d’histoire qui restent obnubilés par le fait national, avec la préférence affichée pour l’ordre moral contre l’esprit critique, Peillon développe le projet éducatif de l’extrême-droite.

Pour ce qui les concerne, les enseignants et leurs syndicats n’ont à ce jour pas réagi.

 

B. Girard


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Commentaires
T
Girard<br /> <br /> "La nation, c'est justement l'écran, le barrage qui empêche de penser "ceux qui n'ont plus rien"."<br /> <br /> <br /> <br /> Mais vous êtes un salarié de la nation. Démissionnez donc. En fait vous voulez que votre employeur ait honte de ce qu'il fait.
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T
"Je ne vois pas pourquoi on devrait se sentir obligé d'adhérer à une nation, construction politique tardive (19e siècle à tout casser) et qui n'a pas vocation à rester éternelle." <br /> <br /> <br /> <br /> Dans votre cas parce que vous êtes un salarié de cette nation à l'EDUCATION NATIONALE, ce n'est que du respect pour les gens qui vous payent avec leurs impôts. Si non sans nation on vote pour qui pour quoi avec quel système ?
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B
Les vieilles phobies, racistes, sur l'immigration - aussi vieilles et creuses que l'immigration - l'éloge du fascisme français de l'entre-deux-guerres : le drapeau français est dans de bonnes mains.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour ce qui est de Rousseau - outre qu'une citation n'est pas un argument - on dira simplement que son emploi relève de l'anachronisme : la patrie dans la bouche d'un homme du 18e siècle et dans celle de Le Pen, ce n'est pas vraiment la même chose.<br /> <br /> <br /> <br /> Avancer quelques vagues notions d'histoire sans rapports avec le présent n'a rien d'une démarche historique, c'est tout au plus du baratin.
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K
« (…) Ce n’est pas assez de dire aux citoyens, soyez bons ; il faut leur apprendre à l’être ; et l’exemple même, qui est à cet égard la première leçon, n’est pas le seul moyen qu’il faille employer : l’amour de la patrie est le plus efficace ; car comme je l’ai déjà dit, tout homme est vertueux quand sa volonté particulière est conforme en tout à la volonté générale, et nous voulons volontiers ce que veulent les gens que nous aimons.<br /> <br /> Il semble que le sentiment de l’humanité s’évapore et s’affaiblisse en s’étendant sur toute la terre, et que nous ne saurions être touchés des calamités de la Tartarie ou du Japon, comme de celles d’un peuple européen. Il faut en quelque manière borner et comprimer l’intérêt et la commisération pour lui donner de l’activité. Or comme ce penchant en nous ne peut être utile qu’à ceux avec qui nous avons à vivre, il est bon que l’humanité concentrée entre les concitoyens, prenne en eux une nouvelle force par l’habitude de se voir, et par l’intérêt commun qui les réunit. Il est certain que les plus grands prodiges de vertu ont été produits par l’amour de la patrie : ce sentiment doux et vif qui joint la force de l’amour-propre à toute la beauté de la vertu, lui donne une énergie qui sans la défigurer, en fait la plus héroïque de toutes les passions. C’est lui qui produisit tant d’actions immortelles dont l’éclat éblouit nos faibles yeux, et tant de grands hommes dont les antiques vertus passent pour des fables depuis que l’amour de la patrie est tourné en dérision.<br /> <br /> Voulons-nous que les peuples soient vertueux ? commençons donc par leur faire aimer la patrie : mais comment l’aimeront-ils, si la patrie n’est rien de plus pour eux que pour des étrangers, et qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser à personne ? Ce serait bien pis s’ils n’y jouissaient pas même de la sûreté civile, et que leurs biens, leur vie ou leur liberté, fussent à la discrétion des hommes puissants, sans qu’il leur fût possible ou permis d’oser réclamer les lois. Alors soumis aux devoirs de l’état civil, sans jouir même des droits de l’état de nature et sans pouvoir employer leurs forces pour se défendre, ils seraient par conséquent dans la pire condition où se puissent trouver des hommes libres, et le mot de patrie ne pourrait avoir pour eux qu’un sens odieux ou ridicule. Il ne faut pas croire que l’on puisse offenser ou couper un bras, que la douleur ne s’en porte à la tête ; et il n’est pas plus croyable que la volonté générale consente qu’un membre de l’État quel qu’il soit en blesse ou détruise un autre, qu’il ne l’est que les doigts d’un homme usant de sa raison aillent lui crever les yeux. La sûreté particulière est tellement liée avec la confédération publique, que sans les égards que l’on doit à la faiblesse humaine, cette convention serait dissoute par le droit, s’il périssait dans l’État un seul citoyen qu’on eût pu secourir ; si l’on en retenait à tort un seul en prison, et s’il se perdait un seul procès avec une injustice évidente : car les conventions fondamentales étant enfreintes, on ne voit plus quel droit ni quel intérêt pourrait maintenir le peuple dans l’union sociale, à moins qu’il n’y fût retenu par la seule force qui fait la dissolution de l’état civil (…) » <br /> <br /> <br /> <br /> Jean-Jacques Rousseau (1712-1778),<br /> <br /> Discours sur l’économie politique, publié dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1755.
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K
B. Girard<br /> <br /> <br /> <br /> Vous enseignez vraiment l'Histoire?<br /> <br /> Ou la lecture de Charlie Hebdo ?<br /> <br /> <br /> <br /> En 1940, c'est bien le patriotisme qui a permi de lancer les premiers mouvements de résistance, avec à leur tête les Croix de Feu du colonnel de La Roch.<br /> <br /> Pendant ce temps là, les internationalistes du parti communiste cherchaient à collaborer, en raison du pacte Molotov-Ribbentrop.<br /> <br /> <br /> <br /> La résistance des russes au nazisme doit plus à leur patriotisme , à leur attachement à la terre russe, qu'à l'idéologie stalinienne.<br /> <br /> <br /> <br /> La résistance des basques au fascisme s'est elle aussi appuyée sur leur patriotisme.<br /> <br /> Le patriotisme est l'amour de son peuple, l'amour du pays des pères, mais aussi le désir de préserver l'avenir des fils. C'est un amour filial et paternel, même si des femmes l'on largement épprouvé.<br /> <br /> Ce n'est pas la haîne de l'autre.<br /> <br /> <br /> <br /> Les guerres du XX° siècle ont été majoritairement déclenchées par des internationalismes, par des idéologies, capitalisme, bolchévisme, nazisme, etc..et c'est la résistance à ces laminoires universalistes qui a empéché les peuples d'être écrasés. Mais pour cela il faut qu'un peuple ait conscience de lui, et de sont droit à exister, ce que vous niez au peuple français, mais aussi par ricocher aux peuples basques, bretons ou corses qui seront submergés de la même manière si votre sans-frontierisme abouti.<br /> <br /> <br /> <br /> Je crois surtout que vous êtes dépourvus e cet amour filial et paternel concret qu'est le patriotisme.<br /> <br /> <br /> <br /> Trop dilué, l'amour de l'humanité n'est plus qu'une idée désincarnée.
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