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Journal d'école
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27 novembre 2019

13 morts au Mali : l’éducation à la défense n’est pas innocente

Comment rendre hommage à des hommes dont on a soi-même provoqué la mort ? Question classique à chaque fois qu’un soldat meurt « pour la France », « en mission », « par fidélité à son devoir » etc. A chaque fois que des responsables politiques et leurs (nombreux) relais dans l’opinion, plutôt que de s’interroger sur leur propre implication, de reconnaître leurs erreurs, font le choix de recouvrir d’un drapeau tricolore le cercueil du mort en question qui n’est malheureusement plus en mesure de dénoncer cette escroquerie vieille comme la chose militaire. Une pratique qui a cours également dans toutes les commémorations historiques, lieux de toutes les manipulations, de toutes les instrumentalisations, dénoncées entre autres, après la Première guerre mondiale, par Dalton Trumbo dans sa mise en accusation des « détrousseurs de cadavres et imposteurs » dont les mouvements du menton et la posture virile, de rigueur devant un monument aux morts, ont principalement pour fonction de mettre sous l’éteignoir toutes les interrogations, pourtant légitimes, sur les guerres et leurs auteurs. Une minute de silence, un hymne national et la messe est dite. Jusqu’aux prochains morts.

Dans le cas des 13 soldats morts au Mali, l’hommage officiel, national et médiatique, illustre surtout l’impérieuse nécessité de balayer toute remise en cause des interventions militaires continuelles de la France en Afrique dont les justifications pseudo humanitaires cachent mal la nature néocolonialiste d’une politique dans laquelle les industriels de l’armement tiennent le premier rôle. Pour Claude Serfati, analysant cette « passion française » pour les interventions militaires, ces dernières « représentent un moyen irremplaçable de promotion des exportations d’équipements militaires car ceux-ci bénéficient alors auprès des pays clients d’un label « combat-proven », testé au combat ». Ce que rappelle également un rapport parlementaire (décembre 2014) cité par le même Serfati : « la qualité internationalement reconnue aux armées françaises est telle que les matériels  opérés par ses hommes bénéficient, au travers des retours d’expérience, d’un avantage souvent décisif en termes de crédibilité auprès des acheteurs potentiels. » Une constatation qui vient mettre à mal la justification post mortem du sacrifice de nos valeureux héros et des motifs de leur engagement… une question qui, d’une certaine façon, interroge l’école.

De fait, alors que la nécrologie confirme l’extrême jeunesse de la majorité des 13 victimes (22 ans pour quelques-uns…), il n’est pas anodin de rappeler que leur premier contact avec l’armée s’est déroulé dans le cadre de leur scolarité, par l’intermédiaire de l’éducation à la défense intégrée depuis 1982 aux programmes officiels, renforcée depuis par plusieurs protocoles conclus entre l’Education nationale et la Défense et dont l’objectif affiché est de « sensibiliser » les élèves au rôle de l’armée et aux métiers de la Défense. « Sensibiliser » devant être ici compris dans le sens d’une information à sens unique délivrée par l’Armée avec l’objectif de recruter le personnel dont elle a besoin. L’éducation à la défense « vise à faire comprendre [aux élèves] que les militaires servent la Nation […]. Pour remplir pleinement ces missions, les militaires ont besoin du soutien de l’ensemble de la Nation. » C’est une « culture de défense » que le dernier protocole (20/05/2016) s’efforce de mettre en action, tout spécialement à destination des élèves de fin de collège, se fixant pour objet de  « renforcer le potentiel d’accueil au sein de la défense de jeunes souhaitant découvrir la vie professionnelle ou s’y préparer. » Des « classes de défense » avec immersion des élèves en milieu militaire sont organisées dans plusieurs dizaines d’établissements. Les enseignants doivent également « pouvoir disposer d’une formation adéquate dès leur passage dans les Espé » (instituts de formation des enseignants devenus Inspé dans la loi de janvier 2019). Même traitement pour l’enseignement supérieur qui se voit adjoindre pour mission « répondre aux besoins de la défense, notamment en matière de développement et de promotion de la pensée stratégique française ». La pensée stratégique française qui s’exerce, par exemple, au Mali…

Depuis 37 ans, cette culture de défense s’est incrustée dans le cursus scolaire, étendant toujours plus son champ d’action (voir par exemple la militarisation des commémorations historiques). Elle trouve avec le SNU (service national universel) son aboutissement logique : satisfaire les besoins de recrutement des armées, l’Education nationale assumant ici le rôle traditionnellement dévolu au sergent recruteur. Un bourrage du crâne intensif qui n’est sans doute pas étranger au fait que les 2000 premiers volontaires du SNU (certes non représentatifs d’une classe d’âge, un tiers d’entre eux étant issu d’une famille militaire) testé en juin dernier aient affiché leur préférence pour les métiers dits « de la sécurité ». Un bourrage de crâne auquel les 13 morts du Mali auront peut-être succombé, victimes d’une propagande insidieuse et brutale à la fois qui, jamais, ne leur aura permis de comprendre que la fonction de l’armée, c’est, d’abord, de faire la guerre, c’est-à-dire de tuer ou de se faire tuer sur ordre et que, s’ils meurent, ce ne sera pas pour la patrie mais pour des industriels (A. France).

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